Morwenna de Jo Walton est un roman publié chez Denoël, dans la collection Lunes d'Encre. Son titre original est Among others, qui me semble, à la lumière de la lecture, bien plus parlant que le (joli) prénom Morwenna choisi pour la traduction française. Ce texte a reçu le prix Hugo du meilleur roman 2012, le prix Nebula du meilleur roman 2011 et le prix British Fantasy du meilleur roman 2012. Autrement dit, sacrée carte de visite.
Morwenna Phelps, qui préfère qu'on l'appelle Mori, est placée par son père dans l'école privée d'Arlinghust, où elle se remet du terrible accident qui l'a laissée handicapée et l'a privée à jamais de sa sœur jumelle, Morganna. Loin de son pays de Galles natal, Mori pourrait dépérir, mais elle découvre le pouvoir des livres, notamment des livres de science-fiction. Samuel Delany, Roger Zelazny, James Tiptree Jr, Ursula K. Le Guin et Robert Silverberg peuplent ses journées, la passionnent. Alors qu'elle commence à reprendre du poil de la bête, elle reçoit une lettre de sa folle de mère : une photo sur laquelle Morganna est visible et sa silhouette à elle brûlée. Que peut faire une adolescente de seize ans quand son pire ennemi, potentiellement mortel, est sa mère. Elle peut chercher dans les livres le courage de se battre.
Le livre se déroule à la toute fin des années 70 au Pays de Galles et en Angleterre, lieux qui reconnaissons le, possèdent une puissante force d'évocation sur la magie et ont produit un paquet de légendes. J'ai tout de suite été entrainée dans l'histoire de Morwenna, qui est écrite sous forme de journal intime. Cela donne une direction complètement subjective au récit et fait sa force.
En effet, Morwenna utilise la magie. Mais la magie n'est pas aussi claire que dans les livres, comme elle le dit elle-même. Elle n'est pas visible, pas palpable, et on pourrait croire que tout s'est passé sans que la magie intervienne. Et ça m'a trituré le cerveau pendant tout le roman ! Est-ce que c'est dans sa tête, ou est-elle vraiment une sorcière ? A-t-elle influé sur certains événements ou est-ce simplement le hasard qui les a provoqués ? Cette petite gymnastique dans ma tête a été finalement bien agréable : a-t-elle une mère sorcière et folle ou simplement abusive et folle ? Est-ce que penser qu'elle fait de la magie l'aide à continuer de vivre malgré sa famille éclatée et détruite, son handicap et le rejet qu'elle subit de la part des autres ou a-t-elle un don ?
"Ce n'est pas une belle histoire, et ce n'est pas une histoire facile.
Mais c'est une histoire qui parle de fées, donc sentez-vous libre de penser que c'est un conte de fées. De toute façon, vous n'y croyez pas."
Mais c'est une histoire qui parle de fées, donc sentez-vous libre de penser que c'est un conte de fées. De toute façon, vous n'y croyez pas."
Ce qui nourrit soit le fantasme soit sa magie (allez savoir !), et lui permet d'une part de survivre (sa sœur jumelle est décédée dans un accident dont elle-même garde un handicap, sa mère semble folle, et son père l'envoie dans un internat huppé en Angleterre, et en plus elle a 15 ans), d'autre part de s'instruire et construire ses idées, ses principes, son avenir, sont les livres de SFFF qu'elle lit chaque jour pendant des heures. Ce roman m'a semblé une bible de classiques, d'ailleurs Lorhkan a produit ici une liste de toutes les œuvres citées.
Mori a notamment baptisé un lieu bien sombre (une usine polluante) Mordor, en référence au Seigneur des Anneaux. On ressent aussi des atmosphères de pure fantasy lors de certaines excursions en forêt...
Le texte de Jo Walton est un hommage aux livres, quels qu'ils soient, qui forment notre esprit critique, mais aussi à la SF, et bien sûr à tous les pourvoyeurs de livres, à commencer par les bibliothèques. Une belle démarche en ces temps plutôt troublés pour la culture ! (ça m'a juste arraché la tronche de lire "client" à la place de "lecteur" pour les personnes qui fréquentent les bibliothèques !)
"Il est amusant que Triton, qui parle de sexe et de sociologie, ait en couverture un astronef qui explose, alors que Route de la gloire, qui n'évoque qu'épisodiquement le sexe et n'est qu'un stupide récit d'aventures, arbore une femme à moitié nue sur la couverture."
Mori a notamment baptisé un lieu bien sombre (une usine polluante) Mordor, en référence au Seigneur des Anneaux. On ressent aussi des atmosphères de pure fantasy lors de certaines excursions en forêt...
Le texte de Jo Walton est un hommage aux livres, quels qu'ils soient, qui forment notre esprit critique, mais aussi à la SF, et bien sûr à tous les pourvoyeurs de livres, à commencer par les bibliothèques. Une belle démarche en ces temps plutôt troublés pour la culture ! (ça m'a juste arraché la tronche de lire "client" à la place de "lecteur" pour les personnes qui fréquentent les bibliothèques !)
"Bibliotropes, a dit Hugh. Comme les tournesols sont héliotropes,
nous sommes naturellement attirés par la librairie."
nous sommes naturellement attirés par la librairie."
J'ai maintenant très envie de découvrir Tiptree, ou encore de relire Les Neuf princes d'Ambre de Zelazny. (Aurais-je la patience d'attendre en implorant Gilles Dumay de nous sortir une édition ultime et révisée pour 2015, comme l'ami Lorhkan ? Je ne sais pas !)
"Les Neuf princes d'Ambre et Les Fusils d'Avalon sont absolument géniaux.
Je n'ai fait que les lire ces deux derniers jours. Le concept d'Ombre est étonnant, et les Atouts aussi, mais ce qui les rend si bons, c'est la voix de Corwin."
Je n'ai fait que les lire ces deux derniers jours. Le concept d'Ombre est étonnant, et les Atouts aussi, mais ce qui les rend si bons, c'est la voix de Corwin."
Toi-même tu sais !!
Morwenna c'est aussi la fin de l'enfance, le passage de l'adolescence à l'âge adulte, les premiers émois, la rébellion contre l'injustice, les yeux qui s'ouvrent sur les parents. Morwenna est une jeune fille forte, intelligente, à laquelle on s'attache, et je suis sûre que de nombreux lecteurs (SF ou pas) pourront s'identifier sans mal à elle lors des longues heures qu'elle passe dans la bibliothèque à lire ses romans favoris. Moi la première.
Pour terminer, un mot sur les paysages décrits par Mori dans son journal. Souvent elle parle de la nature et de ses droits repris sur des bâtiments industriels aujourd'hui en ruine, qui favorisent l'utilisation de la magie, et la venue des fées. On s'y croirait et c'est beau, autant vous dire qu'après cela, malgré la pluie quasi constante du roman, vous n'aurez qu'une envie, voyager vers ces terres de légendes !
"Mes jouets ne me manquent pas. Je ne jouerais plus avec eux, de toute façon.
J'ai quinze ans. C'est mon enfance qui me manque."
J'ai quinze ans. C'est mon enfance qui me manque."
Pour terminer, un mot sur les paysages décrits par Mori dans son journal. Souvent elle parle de la nature et de ses droits repris sur des bâtiments industriels aujourd'hui en ruine, qui favorisent l'utilisation de la magie, et la venue des fées. On s'y croirait et c'est beau, autant vous dire qu'après cela, malgré la pluie quasi constante du roman, vous n'aurez qu'une envie, voyager vers ces terres de légendes !
Pour résumer, Morwenna de Jo Walton publié chez Denoël dans la collection Lunes d'Encre est une réussite. C'est un roman à la fois sensible et érudit. Un petit reproche : il n'est peut-être pas assez "mouvementé" pour moi. Mais comment ne pas se laisser entrainer par cette jeune fille handicapée qui se bat et s'affirme dans ses aventures tant littéraires que réelles, et dans ce pays si propice aux légendes et à la magie ? Je ne peux que vous conseiller cette lecture agréable, qui touchera à coup sûr chaque amoureux des livres.
Les avis de Lorhkan, Gromovar, Efelle.
Lecture n°3 dans le cadre du challenge SFFF au féminin à retrouver sous le tag "autrices" |
Oui oui, faisons tous pression sur Gilles Dumay pour nous ressortir les Princes d'Ambre en grand format édition ultimate collector de la mort ! :D
RépondreSupprimerEt sinon, je plussoie sur la qualité de ce "Morwenna", ça ne peut que toucher ceux qui peuvent se reconnaître dans cette jeune lectrice compulsive.
Et j'imagine que le roman fait aussi plaisir aux bibliothécaires, non ? ;)
Il flatte le bibliothécaire, par contre le bibliothécaire aimerait rencontrer des Morwenna plus souvent :p (je crois que le bibliothécaire est Morwenna également !)
SupprimerIl va vite arriver dans ma PàL celui-là je crois ^^
RépondreSupprimer(sinon moi je suis contre une réédition des Princes d'Ambre, si c'est une édition super belle je vais être dégoûtée après tout le mal que je me suis donnée pour me refaire la série avec ses vieilles couvertures façon cartes de tarot :P)
Un roman qui est dans ma wish list !
RépondreSupprimerQu’est-ce qu’elle était belle cette édition des Princes d’Ambre, le rôliste que j’étais a toujours regretté de ne pas avoir acheté le tarot d'Ambre, également superbe...
Moi aussi j'ai apprécié le fait que la magie soit laissée à libre interprétation du lecteur. Sincèrement, entre toi et moi, j'avais peur d'y trouver une fin très amère.
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