vendredi 26 mars 2021

L'Enfant de la prochaine aurore de Louise Erdrich

"La sottise serait-elle une bonne stratégie de survie ?"

L'Enfant de la prochaine aurore de Louise Erdrich est une dystopie apocalyptique parue chez Albin Michel dans la collection Terres d'Amérique. 

Je l'ai lu avec Lhisbei, Vert et Célindanaë !

Notre monde touche à sa fin. Dans le sillage d’une apocalypse biologique, l’évolution des espèces s’est brutalement arrêtée, et les États-Unis sont désormais sous la coupe d’un gouvernement religieux et totalitaire qui impose aux femmes enceintes de se signaler. C’est dans ce contexte que Cedar Hawk Songmaker, une jeune Indienne adoptée à la naissance par un couple de Blancs de Minneapolis, apprend qu’elle attend un enfant. Déterminée à protéger son bébé coûte que coûte, elle se lance dans une fuite éperdue, espérant trouver un lieu sûr où se réfugier. Se sachant menacée, elle se lance dans une fuite éperdue, déterminée à protéger son bébé coûte que coûte. 

MATERNITÉ ET RACINES

Sous forme d'un journal, Cedar Hawk Songmaker écrit à son futur enfant. D'origine amérindienne (comme l'autrice), elle a été adoptée par un couple de riches bobos blancs. Enceinte de quelques semaines au début du roman, cette jeune femme d'une vingtaine d'années cherche ses parents biologiques dans un monde qui semble se désagréger. Elle retrouve sa mère, une Ojibwé qui vit dans une réserve, et va lui rendre visite dans l'espoir de connaître ses racines maintenant qu'elle va elle-même avoir un bébé, avec un homme qu'elle appelle un ange.

L'Enfant de la prochaine aurore interroge nos origines : lorsque l'on tombe enceinte, c'est tout notre monde qui est chamboulé, à plus forte raison j'imagine quand l'on a été adoptée. Ici de façon assez pragmatique, Cedar cherche d'abord à savoir s'il y  a des antécédents de maladies dans sa famille. Puis elle se prend d'affection pour ces gens de la Réserve, sa mère, mais aussi son beau-père Eddie, dépressif suicidaire qui trouve toujours une raison de continuer à vivre en écrivant ses mémoires, sa sœur Little Mary, adolescente bordélique et rebelle, sa vieille grand-mère qui a une histoire étonnante d'homme bleu à raconter... Affection réciproque qui lui sauvera la mise quelques fois !

Louise Erdrich nous parle ici de la maternité, nous faisant expérimenter les angoisses, les joies et les découvertes de Cedar. Sa grossesse dans une atmosphère crépusculaire est prétexte à explorer les sentiments de la femme enceinte : évolution du bébé semaine par semaine, projection dans l'avenir (incertain dans le cas de Cedar), relation avec le père mais aussi la famille, relation avec les autres femmes, humeur qui parfois varie, appréhension de l'échographie, douleurs etc. C'est aussi l'opportunité de montrer comme la maternité peut être diverse et douloureuse (mère qui abandonne son bébé comme celle de Cedar, mère adoptante - comme l'autrice qui a adopté trois fois - ou "mamange" comme l'on dit délicatement maintenant...) et de découvrir le rapport de certaines mères à leur futur enfant.

Je ne vous cache pas qu'il y a des passages difficiles, et j'ai même pleuré une fois (mais je suis connue pour avoir la larme à l’œil régulièrement).

J'ai apprécié l'aspect "journal intime" du roman, je trouve que cela offre un point de vue unique sur la vie de la narratrice, même s'il faut aussi supporter ses défauts : elle est naïve, peu informée du monde extérieur et parle beaucoup de spiritualité (oui pour moi c'est rédhibitoire). 

En réalité, le roman ne pêche pas par son histoire, plutôt captivante dans le genre ascenseur émotionnel et plus ou moins comparable à La Servante écarlate tant par sa narration que son propos. Le problème, c'est le contexte.

APOCALYPSE GÉNÉTIQUE VS DIEU, WTF ?!

Dès le début, on est prévenu : il se passe un truc super bizarre dans le monde, les êtres vivants semblent régresser. Des gênes silencieux s'activeraient pour modifier l'ADN, sans qu'une raison ne soit donnée. Et si vous croyez que vous allez avoir une explication, vous pouvez toujours courir.

Dans ce livre vous croiserez un tigre à dents de sabre qui chasse au fond du jardin, et peut-être bien d'autres bestioles étranges. Quoiqu'il en soit, il s'avère que les bébés conçus récemment ne sont pas tous viables et surtout que la plupart sont "régressés" (oui c'est moyen clair), ce qui décide le gouvernement à enfermer toutes les femmes enceintes afin qu'elles aillent à terme. A un moment, Cedar se retrouve dans un hôpital prison avec d'autres futures mères. D'abord shootée aux médocs, elle cesse rapidement de les prendre sur conseil de sa compagne de chambrée. Elle qui vivait dans un cocon s'aperçoit soudain que le bâtiment est dégueulasse, mais pas autant que la bouffe moisie et les infirmières peaux de vache. Bref les femmes accouchent, mais ne reviennent pas...

Tout au long du roman, on s'interroge sur cette curieuse apocalypse qui prend tout le monde de court et que notre narratrice semble incapable de comprendre, par manque d'informations mais aussi vraisemblablement parce que c'est inexplicable. J'ai pensé au Livre de M de Shepherd, parce que dans ces deux romans apocalyptiques, le déclencheur de la catastrophe est justement inexpliqué et inexplicable. Cela demande donc une vraie suspension d'incrédulité de la part du lecteur et ça passe ou ça casse.

Par dessus le marché, Cedar est croyante (elle a le droit hein), elle mélange le catholicisme et la spiritualité des amérindiens. Il est beaucoup question du fait que Dieu serait à l'origine de cette régression génétique sans queue ni tête. Très personnellement, ça m'a pompé l'air. Mais je l'aurais su d'avance si le titre avait été conservé dans son sens originel, puisque le roman s'intitule Future home of the Living God, quand même...

Pour conclure, L'Enfant de la prochaine aurore de Louise Erdrich m'a par certains aspects plutôt bien accrochée (vécu de la grossesse, maternité, tension de l'intrigue) et par d'autres plutôt rebutée (le mysticisme, le contexte inexplicable et la fin qui part dans tous les sens). A vous de voir si vous avez envie de vous y plonger. Si toutefois vous voulez lire un excellent roman avec une fin de la civilisation involutive qui se tient, jetez-vous sur L'Oiseau moqueur (anciennement L'Oiseau d'Amérique) de Walter Tevis. 

L'avis des copines de lecture commune :

L'avis des autres : Capharnaüm, Gromovar (dans Bifrost pour l'intégralité de sa chronique)

L'Enfant de la prochaine aurore
de Louise Erdrich
Albin Michel - Terres d'Amérique - Janvier 2021
416 pages
Traduit de l'Américain par Isabelle Reinharez
Papier : 22,90€ / Numérique : 15,99€
Titre original : Future home of the Living God - 2017

5 commentaires:

  1. Ca doit avoir un certain intérêt, mais pour le coup, ça m'intéresse très moyennement. Merci, je peux donc passer mon tour sans regret !

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    1. ça a un intérêt, mais c'est vraiment spécial il faut l'avouer

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  2. Complètement d'accord sur le WTF des explications métaphysiques. L'univers n'est pas assez abouti/exploité/expliqué... et bon l'aspect maternité et moi ça ne match pas non plus :x

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  3. Très bien ta chronique, j'ai été beaucoup plus expéditive dans la mienne (prévue pour samedi prochain si tout va bien ^^)

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