"Dieu que la connerie suinte de l'esprit religieux. Toute certitude poignarde l'intelligence."
L'Anomalie est un roman d'Hervé Le Tellier publié chez Gallimard, disponible en papier, numérique et audio dans la collection Écoutez lire de l'éditeur. Il vient de recevoir le Goncourt 2020, et vous savez pourquoi cela sort un peu de l'ordinaire et donc pourquoi j'ai décidé de le lire ? Parce que c'est de la SF.
En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines
d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux
: Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ;
Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna,
redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel,
écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.
On le sait, les éditeurs de littérature blanche publient régulièrement de la SF, et c'est donc encore le cas avec L'Anomalie d'Hervé Le Tellier. Beaucoup l'ont oublié, sauf les lecteurs du genre : au début du XXème siècle, le tout premier Goncourt a récompensé un roman de SF de John-Antoine Nau - sombre histoire de possession d'un humain par un extraterrestre lubrique, peut-être à lire à l'occasion :')
Le Tellier, auteur oulipien, considère qu'il a écrit de l'anticipation et pas de la SF, but hey l'anticipation c'est de la SF aux dernières nouvelles, et pardon mais le pitch est clairement SF, faut assumer ses choix littéraires ! Ce n'est pas sale, surtout que le résultat est tout bonnement un coup de cœur pour moi.
Comme souvent, la SF est un prétexte à développer différentes réflexions, notamment métaphysiques. Cela dit, elle est présente, avec d'autres genres, menée au bout, avec une fin étrange qui résonne, et non pas larguée en route comme certains ont pu le faire et le feront encore.
Il n'est pas facile de parler de L'Anomalie sans spoiler. Perso, je me suis faite méga spoiler le twist par un spot radio qui en disait beaucoup trop ! Je vais tenter de faire attention à vous, je préviens si j'en révèle trop.
L'Anomalie commence comme un polar (l'un des nombreux genres avec lesquels va jouer l'auteur), nous présentant Blake, un tueur à gages qui a une double vie. Déjà l'auteur sème des indices et joue avec le lecteur ! On est tout de suite happé par le style, reconnaissable et fort agréable (la voix chaude et profonde de Robin Renucci qui lit la version audio y est aussi pour quelque chose dans mon cas). Puis débute la présentation et l'intrigue, qui nécessite une mise en place assez longue du point de vue du nombre de personnages (auteur, avocate, petite fille, architecte...) dont le point commun est d'avoir pris le même vol Paris-New York.
"Tuer quelqu'un, ça compte pour rien."
J'avoue qu'à un moment je me suis demandée si on reverrait certains des personnages dans le livre ou s'ils n'étaient que de passage pour une raison que j'ignorais. Il se trouve que l'auteur répond lui-même à la question un peu plus loin. Son alter ego fictif, l'écrivain Victor Miesel, discute avec son éditrice de combien on peut présenter de personnages différents à un lecteur sans le perdre. Nous voici les cobayes volontaires d'une expérience littéraire !
Le Tellier s'en donne à cœur joie dans ce récit et ne fait d'ailleurs pas que flirter avec l'autofiction. Il l'embrasse carrément, et interroge ainsi la réalité, notre réalité. Religion, sciences, société, tout est remis en question.
L'Anomalie est un roman plein de références, à la SF forcément (Le Guide galactique, Black Mirror, Rencontre du 3è type...) mais aussi à la poésie, à la philosophie (Platon, Nietzsche...) etc. Je me suis surprise à rire régulièrement, occasionnant quelques haussements de sourcil chez les collègues qui partagent mon bureau (oui j'écoute mes livres audio au casque quand je le peux au travail !), rire donc aux bons mots de Le Tellier qui égratigne les politiques mais aussi le milieu littéraire et en fait à peu près tout ce qu'il peut. Il a beaucoup d'humour.
Ce texte érudit est vraiment ludique et assez jouissif. Entre
ses trois parties nommées en hommage à Raymond Queneau et sa fin
particulièrement étonnante dans sa forme (et difficile à rendre en audio, mais le choix fait par l'éditeur est assez bien vu !), je pense que l'auteur a glissé
des contraintes oulipiennes et des clins d’œil que pour la plus grande partie je serais bien incapable de repérer. Par contre, j'ai vu la blague sur le titre Ta vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une de Raphaëlle Giordano, bibliothécaire forever.
Alors bien sûr, le lecteur de SF devra être conscient que la thématique de genre abordée n'a rien de révolutionnaire. Il n'est pas non plus nouveau que l'auteur de blanche pioche dans les sujets habituels de la SF pour construire des hypothèses et permettre de réfléchir à des situations improbables. Parfois c'est douteux, voire raté, mais ici je trouve que c'est une vraie réussite.
Pour résumer, L'Anomalie de Le Tellier est un coup de cœur, une vraie expérience littéraire aussi. L'auteur y évoque des questions existentielles tout en nous proposant un roman ludique, drôle et grave à la fois. On pense à Dick, à Priest, à Galouye, et on s'amuse.
Ils l'ont lu : Yogo, Chien Critique, Feydrautha, TmbM
L'Anomalie
de Hervé Le Tellier
Gallimard - Août 2020
336 pages
8h49 d'écoute
Papier : 20€ / Numérique : 14,99€ / Audio : 18,99€
Je l'ai reçu en cadeau et je pensais attendre un peu avant de le lire mais ta chronique m'a vraiment donner envie de l'ouvrir ! Merci pour la chronique :)
RépondreSupprimerJ'espère que ça te plaira !
SupprimerLe côté "multi-référence" me fait un peu peur - c'est frustrant parfois - mais je le tenterai à l'occasion, ça donne bien envie tout de même. Et puis c'est publié en blanche, c'est forcément un gage de qualité et de respectabilité. 👀
RépondreSupprimerOui, disons que certaines te frapperont forcément, et les autres tu ne les sentiras pas. Je ne crois pas que ça empêche d'apprécier, mais cela dépend de comment tu abordes ta lecture : quoiqu'il en soit c'est fortement accessible !
SupprimerJe suis passé complétement à côté. Et je n'ai pas vu les références peut être un peu de Priest mais de très loin. :)
RépondreSupprimerÇa arrive ! Pour Priest, j'y ai pensé pour les histoires de doubles, ce qui est sa spécialité, je ne sais pas si c'est une référence de Le Tellier. La plupart des références que j'ai relevées sont très explicites, quant à Galouye, il faut lire Simulacron 3 !
SupprimerJ'étais pas sûre de le lire mais vu qu'il est empruntable en numérique à la bibliothèque j'y jetterais peut-être un oeil quand il sera dispo.
RépondreSupprimerÇa se lit sans déplaisir !
Supprimer