Shirley Jackson a écrit deux essais sur la maternité |
La Souris est une courte nouvelle de Shirley Jackson, parue dans le Bifrost 99 qui lui est consacré. Sa date d'écriture est inconnue, ce texte a été publié à titre posthume en 1997, bien après le décès de son autrice en 1965, à tout juste 48 ans. Il a été traduit par Jean-Daniel Brèque et est inédit en français.
En un court résumé, La Souris raconte l'installation d'un jeune couple, Mr. et Mrs. Malkin, dans sa nouvelle maison, où il semble y avoir deux souris.
Malgré sa brièveté et l'apparente banalité de son sujet, comme souvent le travail de Shirley Jackson est puissant. L'interprétation d'un texte étant propre à chacun, je vais ici vous donner mon ressenti, n'hésitez pas à commenter !
A partir de ce point, il va y avoir du SPOIL, donc arrêtez-vous maintenant si vous voulez lire cette nouvelle sans a priori.
A partir de ce point, il va y avoir du SPOIL, donc arrêtez-vous maintenant si vous voulez lire cette nouvelle sans a priori.
La Souris aborde une thématique indissociable de la vie de femme, non seulement à l'époque de Shirley Jackson, mais encore de nos jours : le désir, et surtout le non-désir d'enfant, mais aussi la dynamique du couple.
Mrs. Malkin, dépeinte comme une femme austère et dure, a enfermé son mari dans le rôle assigné par la société, à savoir travailler et subvenir aux besoins de sa famille, le tout dans un bureau gris, froid et ne lui correspondant absolument pas. A coup de petites phrases assassines qu'elle lui adresse régulièrement, elle nie le bienfondé de chacune de ses remarques.
L'épisode du livret de banque est malaisant, et représentatif de leur relation. En effet Mr. Malkin, en homme prévoyant, a ouvert un compte pour une personne portant les prénoms accolés de leurs pères respectifs. Mrs. Malkin, le découvrant dans le bureau de son mari, s'interroge : qui peut donc bien être cet inconnu portant leur nom de famille ? Elle questionne son mari, qui loin d'assumer va finir par dire que c'est une blague, une erreur, et jamais ne sera prononcé un seul mot sur un possible futur enfant.
"- Qui est Donald Emmett Malkin, demanda Mrs. Malkin.
- Un nom comme ça, dit Mr. Malkin du même ton vague. Une blague que j'ai imaginée un jour.
- Donald comme ton père, Emmett comme le mien, dit Mrs. Malkin. Tu dis que tu vas récupérer cet argent ? Dois-je laisser le livret bien en vue ?
- Oui, dit Mr. Malkin. C'était sûrement une blague.
- Sûrement, dit Mrs. Malkin."
J'ai l'impression qu'ici l'autrice a effectué une inversion de la hiérarchie habituelle du couple de la première moitié du XXè siècle : c'est l'épouse qui contrôle son mari, choisit sa façon de vivre, de travailler, qui il fréquente etc. Mari qui ne moufte pas et fait tout pour ne pas contrarier sa moitié, craignant vraisemblablement des représailles (verbales uniquement je suppose, ce qui va changer vers la fin de l'histoire).
Et puis il y a les fameuses souris, elles sont deux. Elles semblent être dans la maison depuis longtemps, comme le prouve la présence de pièges à l'emménagement des Malkin. On comprendra que c'était un couple, mâle et femelle. Après avoir tué le mâle, Mrs. Malkin exécutera fièrement la femelle, qu'elle avait décrite comme grosse - elle était pleine, ce qui est révélé à la fin du texte.
Il est maintenant clair que Mrs. Malkin ne veut pas d'enfant. Elle ne souhaite pas devenir mère et est vue comme une personne effroyable, autant par son mari que par le lecteur, car c'est la façon dont la dépeint volontairement Shirley Jackson. Son personnage a besoin de contrôle, et l'idée de maternité déclenche littéralement de la violence en elle. Même son mari marche sur des œufs.
Alors, qu'a voulu nous dire Shirley Jackson ? Il est évident que c'est la maternité qui est en jeu dans cette nouvelle, mais aussi la dynamique du couple. Mrs. Malkin ne laisse aucun choix à son époux, aucun contrôle sur sa vie, décide de ne pas avoir d'enfant et cela la fait passer pour une sociopathe, alors même que l'inverse est la norme dans la société de l'époque, et n'a étonnamment (non) jamais fait passer un seul mari pour quelqu'un d'abusif. De quoi donner matière à réflexion.
Chacun en tirera ses propres conclusions.
Mais la plus évidente est : LISEZ SHIRLEY JACKSON, la reine du malaise domestique !
Mais la plus évidente est : LISEZ SHIRLEY JACKSON, la reine du malaise domestique !
de Shirley Jackson
dans Bifrost 99 - août 2020
4 pages
Traduit de l'américain par Jean-Daniel Brèque
Papier : 11€ / Numérique : 5,99€
Titre original : The Mouse - date d'écriture inconnue (avant 1965)
Rien à ajouter.
RépondreSupprimer😁❤
SupprimerJe l'ai interprété comme toi. Un texte percutant !
RépondreSupprimerJe plussoie !
SupprimerBon je me suis spoilée volontairement mais la nouvelle a l'air vraiment intéressante, me reste plus qu'à oublier le contenu suffisamment pour la lire !
RépondreSupprimer4 petites pages !
SupprimerJe me demande quel parallèle peut etre fait entre la couleur du bureau que mrs. Malkin impose à mr. Malkin et celle de la souris (qui sont identiques). Mr. Malkin est obligé de passer ses dimanches dans une pièce qui représente métaphoriquement la mort de la maternité? Dimanche qu'il aurait pu passer au sein de couleurs gaies, comme il le souhaiterait, qui pourraient représenter les enfants.
RépondreSupprimerDe plus, (mais là je part peut-être un peu loin 😅) je me demande si la souris tuee par mrs. Malkin ne serait pas un bébé humain, ce qui expliquerait sa taille particulièrement grosse. Je m explique : le livret de banque ouvert pour un hypothétique enfant est à un nom masculin, et mrs. Malkin dit qu il n y en a aucune utilité, puis parle d'une souris femelle.
L'intérieur de la maison est parasité par des êtres non voulus, que mrs. Malkin va s efforcer de faire sortir. Parallèle avec un avortement?
SupprimerEt la réaction du mari devant "la souris" est disproportionnée ("mr. Malkin comprit que c'était la femme la plus effroyable qu'il ait jamais vu"), ce qui renforce le fait que ce n en est peut-être pas une.
Enfin, mrs. Malkin dit que les souris ne lui font pas peur, mais qu'elle déteste etre surprise par l'une d'elles. Grossesse surprise non voulue?