mercredi 6 février 2019

♥ L'Autre côté de Léo Henry

"Ça fait quoi, d'être de l'autre côté ?"

L'Autre côté de Léo Henry est un court roman publié chez Rivages. Dans un lieu inventé, unique élément qui fait de ce texte de la Fantasy, l'auteur imagine un homme obligé de quitter sa ville natale avec sa famille, de passer la frontière et d'affronter tous les dangers pour sauver sa fille malade. Toute ressemblance avec des situations réelles n'est absolument pas fortuite.

Une mystérieuse épidémie condamne la cité-État de Kok Tepa à l’isolement et à l’autarcie. Seuls les Moines, gardiens des traditions et détenteurs du secret de l’immortalité, en sont préservés grâce à un sérum qui les protège de la maladie. Les autres castes, elles, sont touchées de plein fouet.
Rostam est passeur. Il planifie la fuite des familles qui refusent la mort et espèrent rejoindre l’Outre-Mer pour y être soignées.
Mais un jour, la fille de Rostam, Türabeg, contracte la terrible infection. Le passeur risquera tout pour la sauver, jusqu’à suivre à son tour les chemins de la migration. Il découvrira alors l’envers cauchemardesque de la brillante Kok Tepa.

L'Autre côté est court et poignant. Léo Henry y fait le récit de Rostam, un passeur qui se voit soudain forcé, à cause de la maladie de sa fille, de fuir avec sa famille sa ville de naissance et de rejoindre l'Outre-Mer. Pour cela, il va devoir emprunter l'itinéraire qu'il vendait comme sûr il y a encore peu à ses clients, dont il pense connaître les sous-traitants et pouvoir leur faire confiance. Évidemment, la réalité va le rattraper : sur les routes de l'exil, rien n'est sûr, tout est injuste et difficile.

La forme, d'abord. La langue est belle. Les phrases sont courtes, comme les chapitres, ce qui n'empêche pas d'évocatrices descriptions de paysages. Ça se lit tout seul, les pages se tournent et on s'étonne d'avoir déjà lu la moitié du roman quand on relève les yeux.

Le thème ensuite, est dur, mais nécessaire. Le lieu choisi, ce lieu inventé, me semble des plus judicieux : quoi de mieux pour s'identifier à un personnage que de ne lui donner aucune origine précise ? Parce que le message est clair... ça peut vous arriver. Tout peut basculer.

Comme vous le savez, ou pas, je suis bibliothécaire. Beaucoup s'imaginent que faire ce métier se résume à acheter, lire, prêter des livres. Mais la bibliothèque est aussi un lieu social. Depuis quelques années, c'est un des seuls endroits où ceux que l'on appelle "migrants" (les appeler "réfugiés" serait bien plus exact à mon avis) ont la possibilité d'accéder à la fois à internet et à des documents pour apprendre la langue française, de façon généralement gratuite. Alors il est possible que j'aie déjà croisé Rostam. C'est l'homme qui a perdu son frère, torturé puis tué en Irak. C'est celui qui a dû laisser sa famille en Afghanistan pour ne pas se faire tuer, et qui nous raconte en larmes que ce n'est que la seconde fois qu'il pleure depuis qu'il est parti : la première fois, c'était en prison dans un pays de l'Est. Maintenant il a besoin qu'on l'aide pour la traduction d'une lettre qu'il souhaite envoyer au préfet pour plaider sa cause...

Ça n'a pas été facile de lire L'Autre côté, parce que je sais que ce n'est pas une fiction. C'est la réalité de quelqu'un. De beaucoup. J'espère que ce texte permettra à certains de faire montre d'empathie, d'essayer de comprendre qui sont ces gens, d'imaginer l'inimaginable, ce qui leur est arrivé et pourquoi ils ont pris l'impossible décision de partir, ce qu'ils ont subi, ceux qu'ils ont perdus. Alors lisez, offrez L'Autre côté de Léo Henry, un roman d'utilité publique.

L'Autre côté
de Léo Henry
Rivages - Février 2019
128 pages
Papier : 15€ / Numérique : 10,99€

19 commentaires:

  1. Comment je fais un commentaire rigolo après ça moi, hein ? Et d'abord, qui t'a autorisé à écrire une si superbe et touchante chronique ?
    J'ai toujours un peu de mal avec les romans "tristes", très "terre à terre", qui ne servent qu'à augmenter mon désespoir - et qui ne sont jamais lus par les personnes qui le devraient. Et pourtant, vu la longueur et ce que tu en dis, je franchirai certainement le pas si j'en ai l'occasion, parce que bon, hein, quand même. ;)

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    1. Désolée (et merci). Pour une fois que le bec de Baroona ET celui du chien sont cloués, mazette !
      Pourquoi lire ce roman ? Il est vraiment bien écrit. Il remet les idées en place. Puis Léo Henry quoi.
      Bisous licornes mes poulets.

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  2. Je plussoie à mes deux compagnons... ca donne envie mais la réalité du truc me freine ! J'ai envie de dépaysement, de rêve...

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    1. C'est dépaysant. Par contre c'est plutôt du cauchemar. Mais c'est court alors ça se tente non ?

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  3. Superbe. Et n'ayant pas lu le bouquin, je parle bien sûr de la chronique.

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  4. Je viens de le terminer et je ne peux que valider. En plus, c'est bien dit.

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  5. Très belle chronique pour un roman qui a l'air très intéressant !

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  6. Très belle chronique. En tant que (toute nouvelle) bibliothécaire, je te rejoins et me retrouve beaucoup dans ce que tu racontes. C'est un aspect de ce travail que je découvre et dont je n'avais pas forcément pris l'ampleur.

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    1. Oui ce sont des aspects insoupçonnés de notre travail !

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  7. Belle chronique qui donne bien envie. Je note dans un coin, à l'occasion...

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  8. Magnifique chronique Lune, tu m'as foutu les larmes aux yeux. Ce bouquin prêche une convaincue mais je le lirai quand même si j'en ai l'occasion, et pourquoi pas l'offrir en effet.

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    1. Oui malheureusement ce sont souvent les gens qui ont déjà conscience de ce qui arrive qui vont lire les livres sur ce thème, mais à offrir c'est à mon avis une bonne idée !!

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  9. Je vais attendre juste un peu pour le lire, car je viens de finir Demain une Oasis et je crois que là ça ferait un peu trop pour mon moral.

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    1. Effectivement, ce n'est pas facile à lire, mieux vaut peut-être alterner comme tu le fais !

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