mardi 26 novembre 2019

Station Metropolis direction Coruscant : Ville, science-fiction et sciences sociales d'Alain Musset

Station Metropolis direction Coruscant : Ville, science-fiction et sciences sociales est un essai du géographe et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales Alain Musset paru chez Le Bélial dans la collection Parallaxe.

Je me le suis offert aux Utopiales d'une part parce que j'ai toujours été fascinée par les villes en SFFF, d'autre part parce que j'adore l'identité visuelle de la collection, signée Cédric Bucaille ! C'est ma première lecture dans la collection mais sûrement pas la dernière.

Depuis la fameuse Metropolis de Fritz Lang jusqu'à la cité-planète de Coruscant dans Star Wars, en passant par les mégalopoles étouffantes de Soleil vert ou Blade Runner, les villes du futur, réelles ou imaginaires, semblent concentrer les maux : démesure et surpopulation, violence et oppression, pollution et ghettoïsation… La science-fiction aurait-elle peur des villes ? N'y aurait-il de salut que dans leur destruction ?

Telles sont les interrogations soulevées par Alain Musset, géographe et directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, qui nous livre ici un ouvrage référencé et engagé. Alors que les prévisions indiquent que deux personnes sur trois habiteront dans des centres urbains à l'horizon 2050, il devient crucial de déterminer comment mieux habiter et vivre ensemble. Or en la matière, la science-fiction sait nous indiquer le chemin pour ne pas faire des villes un enfer sur Terre…

Metropolis
Pour mon premier essai de la collection Parallaxe, je me suis plongée dans Station Metropolis direction Coruscant, titre inspiré par un tome de Valérian et Laureline (Métro Châtelet direction Cassiopée) ! Alain Musset y parle de villes tentaculaires, voire de villes-mondes, de lieux invivables et insupportables pour des raisons plus joyeuses les unes que les autres.

Au programme, les villes monstrueuses (verticales, surpeuplées, géantes... type Los Angeles dans Blade Runner par exemple), les villes sous surveillance (partie où il est souvent question de La Zone du dehors de Damasio) ou temple de la surconsommation (j'ai pensé à Bonheur TM de Jean Baret, mais évidemment c'est Romero qui emporte le morceau avec ses zombies), ainsi que les villes comme lieu de toutes les discriminations (ou presque, j'y reviendrai).

Coruscant
La SF est une grande pourvoyeuse de villes hors du commun, et de messages politiques. Dans la plupart des œuvres évoquant une cité qui sort de l'ordinaire, l'auteur dénonce ou prévient, parfois directement, parfois au détour d'une remarque ou d'un événement. La ville sépare les riches des pauvres (comme dans Water knife de Bacigalupi et ses arcologies réservées aux plus fortunés, ou encore comme dans le film Elysium) et les blancs des autres couleurs (le plus souvent des noirs bien sûr, comme dans L'Incivilité des fantômes de Rivers Solomon - certes la ville y est un vaisseau) tant en SF que dans la réalité.

Alain Musset connaît les villes ET la SF, et nourrit le lecteur de références nombreuses et bienvenues : livres, films, jeux vidéos... Il est parvenu à maintenir mon attention et à m'intéresser à Coruscant alors même que je n'ai absolument aucune connaissance des romans Star Wars ! Et aussi fou que ça puisse paraître, je n'ai jamais vu Metropolis de Fritz Lang, lacune qu'il serait temps de combler. J'ai aussi noté de lire la BD de Negalyod de Perriot, ainsi que les livres de Régis Messac.

Quelques noms ou références cités :
  • Metropolis de Fritz Lang
  • Les romans et films Star Wars
  • Soleil Vert (le film)
  • Les Monades urbaines de Silverberg
  • La Zone du dehors d'Alain Damasio
  • Robocop 
  • Les romans de Ballard
  • L'Âge de diamant de Neal Stephenson
  • Le Goût de l'immortalité de Catherine Dufour
  • Fondation d'Asimov
  • Les romans de Pierre Bordage
  • Les films de Romero (zombie consommateur !)
  • Globalia de Ruffin
  • Water knife de Bacigalupi
  • Snowpiercer (le film)

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J'ai cependant un reproche à faire à cet essai, qui est plutôt une remarque sur un manque : depuis quelques années, on parle de plus en plus de la place de la femme dans l'espace urbain. Alain Musset parle de toutes sortes de discriminations, mais pas des discriminations sexistes de la ville. Jacqueline Coutras se demandait en 1996 si "les divisions sexuées ne sont pas, elles aussi (c’est-à-dire avec bien d’autres paramètres sociaux), au fondement de l’organisation urbaine". La thématique aurait au moins eu sa place dans le chapitre sur les villes criminogènes.

J'ai moi-même découvert l'idée que la ville était plus pensée pour les hommes que pour les femmes en écoutant une émission de France Inter l'année dernière ! C'est un sujet sur lequel travaillent Edith Maruéjouls docteure en géographie et géographe du genre ainsi que Claire Hancock, maître(sse) (mais ce mot est tellement péjoratif au féminin) de conférences en géographie. Yves Raibaud signe en 2015 le livre La ville, faite par et pour les hommes : dans l'espace urbain, une mixité en trompe-l’œil. Pour creuser un peu, quelques liens : podcast de l'émission La ville à l'épreuve du genre sur France Culture entre autres.

Je tiens tout de même à souligner l'inclusivité de l'auteur, qui écrit toujours "auteures et auteurs" ou encore "habitantes et habitants". J'ai bien apprécié cette démarche !

Alain Musset a (comme d'autres avant lui) vainement essayé de laisser un commentaire, ce #@&é!# de Blogger ayant refusé son identification, bref ! Donc il m'a écrit un mail et je l'en remercie, je me permets de le citer avec son accord :

"[...] la question du genre : une dimension oubliée de la ville imaginaire ? Pas complètement, bien sûr. Mais comme vous l'avez dit, il s'agit d'un impensé de la ville tout court. Je n'ai pas consacré un chapitre ou un sous-chapitre à cette question tout simplement parce que les auteur.es de SF (livres, films, BD…) ne se sont pas vraiment penché.es sur le sujet – ce qui ne veut pas dire que la SF ne se soit pas intéressée aux relations conflictuelles entre genres et sexes, bien entendu. J'ai d'ailleurs consacré plusieurs articles à ce sujet dans la revue Divergences 2 :
"Une Amazone nommée Barbarella : science-fiction et loi du genre », Divergences 2, n° 37, décembre 2013,
http://divergences2.divergences.be/spip.php?article676
« Oppression masculine et construction du genre : Le point de vue de la science-fiction critique », Divergences 2, n° 38, mars 2014, http://divergences2.divergences.be/spip.php?article812
« Le Queer est-il l’avenir de l’homme… Et de la femme ? », Divergences 2, n° 39, juillet 2014,
En fait, l'aspect territorial du problème a été largement laissé de côté par la SF (sauf de manière marginale et principalement pour évoquer de manière allusive les formes de logement), ce que je regrette beaucoup. La dénonciation des inégalités et des discriminations dans la ville se fait généralement sur la base des classes sociales et des groupes ethniques, sans s'attarder sur les divisions hommes/femmes. Mais je suis preneur de toute nouvelle information à ce sujet !" 
 
Je lui ai proposé de lire Les Ravagé(e)s de Louise Mey, le seul exemple à me venir qui pourrait coller aux critères sur la femme dans l'espace public vue par la SF (et encore, c'est essentiellement un thriller mais pas complètement non plus !)

En bref, Station Metropolis direction Coruscant est passionnant ! Bourré de références, cet essai d'Alain Musset, en plus d'être captivant, est un magnifique objet avec une vraie identité visuelle. Et toujours le petit marque-page qui va bien, merci Le Bélial

PS : Attention, gros spoil de Simulacron 3 de Galouye, page 242 (d'ailleurs l'adaptation cinématographique intitulée Passé virtuel sera dispo sur Netflix dès dimanche ! Hasard du calendrier ? Je ne pense pas)

L'avis de Yogo
📢 Oyez, oyez, cette chronique est 
mon 1000ème article publié sur le blog ! 

Station Metropolis direction Coruscant
d'Alain Musset
Le Bélial - Collection Parallaxe - Octobre 2019
Illustrations par Cédric Bucaille
272 pages
Papier : 16,90€ / Numérique : 7,99€

12 commentaires:

  1. Où sont les femmes ?

    1000 billets, c'est juste dingue ! Et merci pour le concours.

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    1. Oui dingue comme tu dis ! Merci de me suivre fidèlement !

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    2. C'est un peu de ta faute si je suis là ou je suis... ;-)

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    3. Oui, pardon d'ailleurs :p

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  2. Intéressant, surtout si l'intérêt se maintient quand on n'a pas forcément les références, c'est clairement ce qui me fait peur dans ce genre d'ouvrages. À tenter à l'occasion, et je tâcherai de prolonger par des podcasts sur les villes et les femmes. ;)

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    1. Oui j'appréhendais un peu mais ça passe bien justement !

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  3. Hello, ah beh c'est cool que tu parles de passé virtuel, j'en ai gardé un bon souvenir même si je m'en rappelle plus du tout, comme ça je vais pouvoir le revoir merci ! Je ne savais pas du tout que c'etait l'adaptation d'un livre Pour
    Sinon pour en revenir au livre, il n'y a donc pas d'exemple de villes utopiques dans le livre ?

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    1. L'auteur aborde succinctement les villes utopiques dans la conclusion, mais non il n'y en a pas vraiment !

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  4. Il a l'air trop chouette ce livre, je l'achète dès que j'ai fait un sort à Comment parler à un alien ^^.

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