mercredi 24 juin 2015

☆ Kirinyaga, l'intégrale de Mike Resnick

Kirinyaga de Mike Resnick est un fix-up (roman constitué de plusieurs nouvelles réunies en un seul ouvrage pour former une histoire cohérente) autour d'une utopie africaine dans le futur. Ce recueil/roman est le plus primé de l'histoire de la SF ! Denoël Lunes d'encre réédite cet ouvrage en intégrale, en y intégrant une novella intitulée Kilimandjaro, écrite après Kirinyaga

Kirinyaga est le nom que portait le mont Kenya à l'époque où y siégaient encore Ngai, le dieu des Kikuyus. C'est aussi, en ce début du XXIIe siècle, l'une des colonies utopiques qui se sont créees sur des planétoïdes terraformés dépendant de l'Administration.
Pour Koriba, son fondateur – un intellectuel d'origine kikuyu qui ne se reconnaît plus dans un Kenya profondément occidentalisé –, il s'agit d'y faire revivre les traditions ancestrales de son peuple, en refusant coûte que coûte ce qui pourrait menacer la permanence de cette utopie africaine. Mais que pourra-t-il bien faire quand une petite fille surdouée voudra apprendre à lire et à écrire alors que la tradition l'interdit? Ou lorsque la tribu découvrira la médecine occidentale et cessera de croire en son dieu, et donc en son sorcier?

Les fix-ups sont peu nombreux. Le plus connu du genre est certainement Chroniques martiennes de Ray Bradbury, qui tient plus du fantastique (oui même sur Mars !) que de l'utopie, même si l'auteur prétexte une volonté de partir s'installer ailleurs pour une vie meilleure. Fondation d'Asimov, Demain les chiens de Simak, ou encore Roma Aeterna de Silverberg sont aussi des fix-ups.

Mike Resnick écrit ici sur la tentative d'une utopie. Nous sommes en 2130 et des poussières. Le Kenya est devenu un pays industrialisé comme les autres. Les différents peuples vivent maintenant comme des "Européens noirs" selon le personnage principal, Koriba. Membre du peuple Kikuyu, il veut créer une utopie sur un des planétoïdes terraformés mis à disposition par l'Administration. Il rédige alors une Charte utopique. Les Kikuyus souhaitant suivre scrupuleusement les règles et coutumes Kikuyus sont autorisés à s'installer sur Kirinyaga. Koriba devient leur mundumugu, le sorcier, sage et gardien des coutumes et traditions.

 "Vous devez toujours vous rappeler qui vous êtes 
et savoir trop de choses peut vous le faire oublier."

Je n'ai jamais lu un livre comme Kirinyaga. Les utopies se font rares en SF. J'ai l'impression que c'est parce que plus personne n'y croit vraiment, et que finalement le lecteur attend que ça pète de partout et que ça devienne rapidement une bonne vieille dystopie (moi incluse). Il faut bien dire que souvent, l'utopie de l'un devient la dystopie des autres, ce qui se vérifie d'ailleurs dans ma nouvelle préférée du recueil (tiens donc ! Mais c'est aussi celle de l'auteur), Toucher le ciel. Dans ce texte, une petite fille surdouée va vouloir apprendre à lire et écrire. Dommage pour elle, dans la tradition Kikuyu, les femmes n'en ont pas le droit. Koriba va donc essayer de la persuader de renoncer.
"Lire t'ouvrira les yeux sur d'autres façons de penser et de vivre, 
et après tu ne seras plus satisfaite de ta vie sur Kirinyaga."

L'utopie de Koriba est basée sur le passé, sur la nostalgie d'un style de vie disparu. On peut comprendre que cet homme ait eu envie de retrouver une époque où tout semblait plus simple face à l'évolution démentielle du Kenya en très peu de temps. Les éléphants, léopards, lions ont disparus, et les traditions ancestrales sont oubliées. Des villes ont poussé sur les lieux sacrés. Les Africains ont adopté un mode de vie occidental, pour le meilleur et pour le pire. Il va donc essayer de mettre en place son utopie sur une idée figée dans le temps. Sauf que les sociétés évoluent, forcément. 
"Il y a une différence entre la tradition et la stagnation."

Mais finalement, j'ai aimé dans ces textes l'intention du mundumugu. Ses idées sont très arrêtées et il fait son lot d'erreurs, mais jamais pour nuire. Il veut aider son prochain et que les gens vivent heureux, dans une société Kikuyu traditionnelle. Ce n'est évidemment pas pour autant que ses erreurs et leurs conséquences sont pardonnables. Car quand on est diplômé d'université comme lui, peut-on en toute conscience maintenir une tradition qui dit qu'il faut tuer les bébés qui naissent par le siège car ils sont des démons, comme dans la nouvelle Kirinyaga ? Et ce, tout en vivant sur un planétoïde artificiel contrôlé par ordinateur, en allant même jusqu'à utiliser la technologie pour provoquer une sècheresse intentionnelle dans Chant d'une rivière tarie ? C'est là toute la contradiction de "l'utopie" de Koriba. 

"Tout Kikuyu savait que les démons vivent dans les coins 
et que la seule forme convenable d'une maison est ronde."

On ressent l'amour de Resnick pour l'Afrique, grâce à ses connaissances sur le Kenya et ses peuples, mais aussi à travers l'oralité qu'il met dans ses textes. En effet, le mundumugu raconte toujours une ou plusieurs histoires, des paraboles qui lui permettent de faire comprendre certains principes à son auditoire, comme autant de contes philosophiques. Koriba nous est même rendu régulièrement sympathique, de par le récit à la première personne, mais aussi par exemple dans la nouvelle Bwana, où il apparaît réellement comme défenseur de son peuple et de ses valeurs. 

Kilimandjaro clôt cette intégrale d'une manière intelligente. En effet, cette novella est un fix-up, à l'image de Kirinyaga, mais sur une utopie Masaï. Utopie Masaï qui s'est dotée d'un historien afin de ne pas reproduire les erreurs d'une certaine utopie Kikuyu ! Excellente conclusion.

"- Les hommes comme vous font partie de notre Histoire.
- Mais pas de votre futur, répliqua-t-il avec amertume.
- Je l'ignore. Aujourd'hui n'appartiendra à l'Histoire que demain."

Pour résumer, Kirinyaga de Mike Resnick est un fix-up multiprimé autour d'une utopie africaine dans les années 2130. Composé d'une dizaine de nouvelles qui forment un récit complet, c'est la source d'une réflexion intarissable sur la société et son inévitable évolution, sur l'identité culturelle, sur la beauté du monde et ce que nous en faisons. Chaque texte est un plaisir de lecture renouvelé, par son intelligence et son imagination. Assurément, la réputation de classique et chef d’œuvre de la SF n'est pas usurpée par Kirinyaga, dont Kilimandjaro, novella fix-up qui conclut l'intégrale publiée par Denoël Lunes d'encre, est complémentaire et éclairante.

Les avis de Lorhkan, Lelf, Blackwolf

Lecture n°2 dans le cadre du
challenge Summer Star Wars III

Kirinyaga suivi de Kilimandjaro
de Mike Resnick
Denoël Lunes d'encre - Juin 2015
416 pages
Traduit de l'américain par Pierre-Paul Durastanti et Olivier Deparis
Illustration de couverture de l'excellllllent François Baranger
Papier : 21,50€
Titre original : Kirinyaga - 1998

5 commentaires:

  1. Allez hop dans la wish list celui-là, tu l'as bien vendu ^^

    RépondreSupprimer
  2. Il est excellent et il peut te plaire j'en suis sûre !

    RépondreSupprimer
  3. Je suis content, tu ne peux pas savoir ! :)
    Tout le monde doit lire ce bouquin, c'est une merveille, étonnamment trop méconnue en France.

    De mon côté, je l'avais en poche, j'ai racheté l'intégrale pour avoir "Kilimandjaro", que je ne vais pas tarder à lire histoire de retrouver l'immense plaisir qui m'avait saisi à la lecture de "Kirinyaga".

    RépondreSupprimer
  4. J'espère que tu apprécieras, elle est la suite logique et complémentaire de l'utopie Kikuyu !

    RépondreSupprimer
  5. IL passe en wishlist chez moi aussi.En plus la couv' *_*

    RépondreSupprimer

Pages vues