dimanche 28 février 2021

Quarantaine de Peter May

"Les médecins de St Thomas Hospital avaient annoncé le décès du Premier Ministre. Deux de ses enfants étaient déjà morts, et sa femme se trouvait dans un état critique."
 
Quarantaine est un roman policier apocalyptique de Peter May écrit en 2005 mais paru en 2020 seulement en Angleterre. Il vient d'être traduit et sortira le 10 mars en France chez Rouergue Noir. En VO, il s'intitule Lockdown, littéralement "Confinement" !

Qui aurait pu imaginer une chose pareille ? Le domaine centenaire d’Archbishop’s Park, en plein cœur de Londres, défoncé au bulldozer pour y bâtir de toute urgence un hôpital. Alors qu’une épidémie sans merci a séparé la capitale britannique du reste du monde, alors que le Premier ministre lui-même vient de mourir, un ouvrier découvre sur le chantier ce qu’il reste du corps d’un enfant. Des ossements qui ne datent pas du temps des archevêques. MacNeil, l’homme qui a décidé de quitter la police, qui vit ses dernières heures dans la peau d’un flic, est envoyé sur les lieux.
  
2005. Peter May, alors un auteur inconnu, écrit Quarantaine, inspiré par la grippe aviaire. Il imagine que ce virus a trouvé un moyen de se transmettre à l'humain, et envisage toutes les conséquences d'une Londres en quarantaine, confinée et en proie à une épidémie mortelle à 80%. La réaction des éditeurs est unanime : c'est irréaliste, impubliable. Peter May enregistre précieusement le fichier.

2020. Le coronavirus se répand dans le monde entier. Peter May, maintenant connu et reconnu, ressort du fin fond du cloud son roman Quarantaine. Il est immédiatement publié en VO et en passe d'être traduit dans de nombreuses langues.
 
Pourquoi me lancer dans la lecture d'une fiction sur une pandémie, en pleine pandémie ?
Suis-je : 
  1. Masochiste ? 
  2. Dérangée ? 
  3. Fan de post-apo ? 
  4. Les trois ?
Quand j'ai vu que Le Rouergue allait sortir un roman de SF, enfin plutôt un thriller dans une Londres confinée en pleine pandémie de Peter May, j'ai tout de suite été curieuse, surtout avec ce pitch apocalyptique comme je les aime ! D'autant plus que l'auteur a écrit son récit il y a 16 ans et nous explique tout ça dans sa préface.

DE QUOI ÇA PARLE ?
 
Une épidémie de grippe aviaire sévit à Londres, qui se trouve confinée. Le tableau dépeint est effrayant : un virus ultra-contagieux, mortel pour 80% des personnes qui le contractent. Les gens meurent par milliers et ont doit brûler les corps pour éviter une propagation exponentielle. Le Premier Ministre est mort. Le peu de personnes qui sortent encore de chez elles le font masquées et ne se touchent plus. Un espoir subsistait cependant : une entreprise française a annoncé avoir mis au point un vaccin, mais se rétracte et Londres est à terre. Reste le FluKill, sorte de Tamiflu qui est distribué aux travailleurs essentiels, censé ralentir l'évolution de la maladie.

"Des hommes et des femmes masqués circulaient autour des sphères de pouvoir, avec le même sentiment de sombre désespoir que la plupart des habitants de la capitale."

Dans ce cauchemar apocalyptique, les ossements d'une enfant sont retrouvés sur un chantier. Ils sont très récents, et à la veille de son départ de la police car il vient de démissionner, l'inspecteur McNeil, écossais père d'un fils et séparé de sa femme, se voit chargé de l'enquête.

UN ROMAN RÉALISTE ET CATHARTIQUE

Dans sa préface, Peter May explique vouloir publier ce livre pour diverses raisons, et notamment pour montrer à quel point "ça aurait pu être pire". Comment vous dire qu'il y arrive parfaitement...

Pour écrire ce roman, il a étudié la grippe aviaire, mais aussi l'épisode de grippe espagnole (H1N1) de 1918 qui aurait tué selon les dernières estimations de 2020 près de 100 millions de personnes à travers le monde.

Il décrit donc le couvre-feu, les gens masqués, la méfiance, l'épuisement des soignants, le désespoir de la population, l'impuissance des pouvoirs publics... Tout y est !
 
"Il ne s'habituait pas à voir les rues aussi vides, aussi mortes. Avant la crise, même au petit matin il y avait des taxis, des voitures particulières, des groupes de fêtards sortant des clubs et des pubs autorisés à rester ouverts toute la nuit. Mais depuis le couvre-feu, rien ne bougeait, et si quelque chose bougeait, on tirait dessus."

On se retrouve aussi dans un hôpital avec McNeil, dont le fils est contaminé. L'entrée est interdite, mais lui et son ex-femme trouvent le moyen de rejoindre le petit de 8 ans... Là c'est vraiment dur. Parce que quelque part notre chance avec ce foutu Covid, c'est qu'il ne s'attaque que très très rarement aux enfants. Si les enfants avaient risqué des formes graves, je suis certaine que la situation serait devenue hors de contrôle.

Ce récit, sur bien des points, est insupportable mais il a quelque chose de cathartique. Lire que tout ce qui nous arrive aurait pu être pire, bien pire, permet de relativiser notre situation. Cela dit, si vous êtes déjà très déprimé par la situation actuelle, ne tentez pas, trouvez un truc bien popcorn à lire.
 
DES PERSONNAGES NON MANICHÉENS

La psychologie des personnages est assez fouillée. Peter May fait preuve d'une inclusivité bienvenue, avec une anthropologue chinoise handicapée et son meilleur ami gay. Il aborde aussi l'adoption. Cependant, je dois avouer avoir ressenti plusieurs fois comme un soupçon de paternalisme. Évidemment, il n'est jamais facile de discerner s'il vient de l'auteur ou des personnages...

Et donc le méchant est bien mieux écrit que le flic. J'ai trouvé que McNeil avait peu de substance malgré tout ce qui lui arrive. Alors qu'au contraire, Pinkie, que l'on suit pendant tout le roman, est excellent malgré son immoralité. A la solde d'un riche inconnu (le vrai méchant pour le coup), il va suivre toute l'enquête de McNeil et nous emmener dans ses réflexions pleines de bon sens, tout en nous racontant son histoire de vie. Peu à peu l'on sentira que la psychopathie est aussi de la partie, mais quelle belle construction de personnage !

En tous les cas, on ne pourra pas reprocher à l'auteur de faire preuve de manichéisme, sauf envers l'industrie pharmaceutique (comment lui en vouloir).
 
ÂMES SENSIBLES S'ABSTENIR

Quarantaine est un roman dur. Certaines images restent dans ma tête, dont la description de l'incinérateur géant et l'entassement des corps. 

[SPOILER] Durant l'enquête, McNeil refuse de répondre au téléphone quand son ex-femme l'appelle. Une fois qu'il s'y décide, elle lui apprend que leur fils est hospitalisé, car il a contracté la maladie. Ils ne le reverront que quelques minutes vivant. J'ai eu vachement de mal avec cet épisode, d'abord parce que leur fils a 8 ans, soit l'âge du mien, et ensuite parce qu'il meurt seul, car lorsque le médecin leur annonce qu'il pourrait survivre s'il tient encore une heure, ils ne trouvent pas mieux que de sortir 1h15 et de revenir constater ce qui s'est passé ensuite. Qui laisserait son enfant mourir seul ? Invraisemblable. [/SPOILER]

Au final, Quarantaine de Peter May n'est pas un roman à conseiller à tout le monde. Ce polar apocalyptique publié chez Le Rouergue vous conviendra si vous êtes fan de post-apo et/ou si la situation actuelle vous reste supportable et/ou si vous aimez l'auteur, et certainement pour d'autres raisons auxquelles je n'ai pas pensé. A vous de définir vos limites ! Pour ma part, j'ai trouvé cette lecture difficile mais cathartique. Parfait pour relativiser. Vous pouvez lire le début ici.

Quarantaine
de Peter May
Le Rouergue - Mars 2021
320 pages
Traduit par Ariane Bataille
Papier : 22€ / Numérique : 16,99€
Titre original : Lockdown - Mars 2020

9 commentaires:

  1. 17 euros le numérique !!! Du coup la pandémie mondiale attendra encore un peu.

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  2. Est-ce que l'histoire dit si l'éditeur qui l'a publié en 2020 l'avait refusé en 2005 ?

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  3. Je comprends parfaitement le ressenti cathartique. J'ai lu un thriller SF en 2020, écrit en 2019, qui nous parle aussi d'épidémie, de quarantaine, etc. et le fait de lire un roman où tout est pire que ce qu'on vit mais s'en rapproche un peu fait du bien étonnamment. C'est presque rassurant. Et bluffant sur le caractère visionnaire évidemment.

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    1. Oui au final on relativise...
      Et incroyable de prévision de la part de l'auteur en effet

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  4. Je suis toujours étonnée à quel point on arrive toujours à trouver des romans écrits 10-15 ans avant qui mettent en scène des choses actuelles (heureusement qu'ils ne tombent pas tous juste quand même xD)

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    1. Il avait bien anticipé l'aspect sanitaire. Heureusement pour nous, le vrai virus est beaucoup moins mortel

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  5. Bonjour et merci pour cette chronique. Je suis d'accord avec vous, j'ai globalement passé un très bon moment de lecture, même si je préfère néanmoins la trilogie de Lewis. En revanche, j'ai été moins convaincu que vous par les personnages des "méchants" et leurs motivations. Bien cordialement,

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