Les Chambres inquiètes est un recueil de nouvelles de Lisa Tuttle traduites par Nathalie Serval, paru chez Dystopia, qui avait déjà publié l'excellent Ainsi naissent les fantômes de la même auteure. Les textes ne sont cette fois pas inédits : ils sont parus dans la collection Présence du Futur, dans Sur les ailes du cauchemar ou encore Le Nid.
Je trouve que le titre du recueil colle bien aux thématiques de l'auteure : on y retrouve la maison mais aussi l'angoisse, et la couverture de Stéphane Perger s'accorde à cela tout en ajoutant l'idée que quand on creuse un peu (ou avec le temps), des choses cachées se révèlent ou refont surface.
Les thèmes chers à Lisa Tuttle sont donc au sommaire : la femme, sa vie, ses choix, ses difficultés, la maternité, les violences. Mais aussi la maison, le foyer, ce lieu où l'on doit se sentir en sécurité et qui parfois devient un lieu de danger et d'enfermement.
Je ne vais vous parler que des nouvelles qui m'ont marquée, sinon je vais faire une tartine !
La première nouvelle, horrifique et angoissante, fait parfaitement écho au premier récit d'Ainsi naissent les fantômes, Rêves captifs. Encore une fois, l'auteure réinterprète la violence faite aux femmes et utilise le foyer comme lieu non plus de sécurité mais de danger. Un texte qui instille le malaise, puis plonge le lecteur dans l'horreur.
Sans regret m'a un peu déçue. Non pas par son thème ni par son idée de départ auxquels j'adhère totalement, mais par le traitement. Miranda, poète, a quitté son amour d'université car il voulait fonder une famille avec elle. Elle pensait que cela l'empêcherait de continuer à écrire de la poésie et réduirait sa liberté. Des années plus tard, elle retourne dans son ancienne ville, enseigner. Et est surprise du logement qu'on lui attribue : son ancienne maison. C'est à ce moment qu'elle commence à voir des fantômes...
Sans regret est un beau questionnement sur le choix de vie, sensible, et a un petit côté presque SF intéressant. Mais, quel dommage, Lisa Tuttle ressent le besoin de nous expliquer ce qui se passe dans ces murs. Pourquoi ? Non, qu'on ne m'explique pas, qu'on me laisse échafauder mes hypothèses et rêver ! Une histoire pleine d'émotion mais qui en dit trop.
Bizarre... bizarre de Claude Ponti |
En Pièces détachées est une courte nouvelle sur une femme qui n'arrive pas à trouver l'amour. Mais à la fin de chacune de ses aventures, elle trouve un morceau de corps, chaud et vivant, dans son lit. Elle commence à les collectionner.
En lisant le début de ce texte, j'ai tout de suite pensé à Claude Ponti, l'auteur jeunesse, et à son génial petit album de Monsieur monsieur et Mademoiselle Moiselle : Bizarre... bizarre dans lequel les amoureux, rentrant chacun chez soi après s'être rencontrés dans un parc, se rendent compte qu'il leur manque un bras. En effet, ces deux-là sont restés accrochés l'un à l'autre sous un arbre ! En pièces détachées est un peu de cet acabit, en bien plus tragique bien sûr.
Ces pièces détachées symbolisent pour moi toutes les histoires qui nous construisent (ou nous détruisent), et cet homme idéal qui n'existe pas... Un texte prenant.
Lézard du désir est un texte sur ce qui fait la différence entre les hommes et les femmes. La réponse de Lisa Tuttle est claire : "pas grand chose", puisque cela tient au fait de posséder un lézard... Violence et domination sont au rendez-vous de cette histoire qui fait réfléchir.
Vol pour Byzance, c'est le retour chez les bouseux d'une femme maintenant écrivaine qui a réussi à partir vivre sa vie à Los Angeles. Malheureusement son voyage à Byzance pour une obscure convention de SF ne se passera pas comme prévu. Paru dans Twilight Zone Magazine, je vous laisse imaginer la direction que prend ce texte. Glaçant !
Une amie en détresse est une très belle nouvelle, une de mes préférées dans ce recueil : Cecily rencontre Jane dans un aéroport. Elles attendent chacune l'arrivée de leur mère. Jane, c'est l'amie d'enfance de Cecily. Mais elle pensait qu'elle était imaginaire, alors que fait-elle dans cet aéroport ? Superbe texte sur l'amitié et la souffrance de certains enfants, teinté de fantastique, quand le voile entre réel et imaginaire se déchire, Une amie en détresse est un petit bijou.
Je termine en vous parlant de La plaie, étonnante lecture. Elle m'a démontré à quel point notre propre société (et notre propre monde) conditionne notre compréhension d'un texte. Olin est professeur. Divorcé, deux enfants, il se lie d'amitié avec un autre professeur, séparé comme lui. C'est là que la transformation va commencer. Surprenant.
J'ai immanquablement pensé à Ti-Harnog de Léourier, même si le contexte n'est pas le même. Encore une fois, Lisa Tuttle nous rappelle que nous sommes tous des êtres humains, certains hommes, d'autres femmes. Et le titre sonne tellement juste...
Pour résumer, Les Chambres inquiètes de Lisa Tuttle, paru récemment chez Dystopia, regroupe des nouvelles dont certaines sont des bijoux. D'autres sont moins à la hauteur de mes attentes après ma découverte d'Ainsi naissent les fantômes, mais ce précédent recueil comportait moins de textes. C'est une lecture agréable et remuante, qui touche à l'intime, que nous offre encore une fois l'auteure.
Les avis de Vert, Efelle
Mon avis sur Ainsi naissent les fantômes, et sur Le Vieux Monsieur Boudreaux, deux coups de cœur !
Lecture n°5 dans le cadre du challenge SFFF au féminin à retrouver sous le tag "auteurEs" |
Bien vu pour le rapprochement avec Léourier ça ne m'avait pas frappé parce que l'ambiance de Tuttle est plus sombre, désespérée.
RépondreSupprimerDisons que chez Léourier c'est une évolution normale et heureuse, chez Tuttle c'est une souffrance et une honte...
SupprimerTout le monde semble s'accorder sur la qualité de ce recueil, il va falloir que je m'y intéresse aussi. En plus, je ne connais pas du tout l'auteure...
RépondreSupprimerMon préféré reste Ainsi naissent les fantômes. La dame a indéniablement le talent de la nouvelle.
SupprimerUne amie en détresse est aussi un de mes textes préférés (d'autant plus qu'il est assez peu "horrible" par rapport aux autres).
RépondreSupprimerLa plaie m'a beaucoup marqué, je ne m'attendais vraiment pas du tout à ça en fait.
La Plaie est tout à fait déroutante, tout comme Une amie en détresse mais pas pour les mêmes raisons ! ce que j'adore chez Tuttle c'est qu'elle remue plein de choses et fait se poser énormément de questions. Je ne sais pas si cela fait la même chose aux hommes d'ailleurs, il faudrait leur demander.
SupprimerOoooh, à ton tour de me tenter ! Je l'ai noté en wishlist après avoir lu la chronique de Vert (je n'avais même pas entendu parler de cette parution). J'espère que ma librairie l'aura encore en stock :/
RépondreSupprimer