Lune lit des nouvelles #7 : Lionel Davoust

Le pitch :

« Maman, je veux savoir faire comme toi les lignes sur la feuille. »

LD a quatre ans et sa mère le prend au mot. Dès lors, tout est foutu.

Il apprend à lire et à écrire bien avant d’entrer en primaire et rédige dans la foulée une première nouvelle où figurent déjà des monstres et un bateau. Il ne cessera plus d’écrire sous une forme ou une autre. 

La suite ici !

Mon avis :

Lune lit des nouvelles est une rubrique qui me permettra de regrouper des nouvelles "uniques" par thème, par éditeur, par auteur, ou juste comme ça si je veux d'abord.
 

Aujourd'hui c'est donc Lionel Davoust, que j'ai récemment découvert dans l'anthologie Contrepoint, et par son site internet avec ses avis toujours pertinents, qui est à l'honneur.

Il propose de télécharger gratuitement trois de ses nouvelles (sous licence Creative Commons), extraites du recueil L'importance de ton regard publié chez Rivière Blanche (qui ne détient pas les droits numériques de ses auteurs), alors je n'allais pas me priver ! Je vous conseille d'aller faire de même, ça vaut vraiment le coup.

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Personne ne l'a vraiment dit

Cette nouvelle très courte (environ 3 pages) est l'occasion pour Lionel Davoust de nous livrer sa version de la suite de l'histoire de Pinocchio. Parce que finalement, personne ne nous l'a vraiment dit, ce qui lui est arrivé après qu'il ait été transformé en vrai petit garçon. 

Vision très pessimiste de la vie d'un enfant, puis d'un adulte différent, presque handicapé dans un monde sans pitié, le nôtre. 

Récital pour les Hautes Sphères

Un peu plus longue que la nouvelle précédente, celle-ci est l'histoire de Barnabé, un homme qui a l'oreille ultime (pire que l'oreille absolue !), il entend la musique de chaque chose, le bruissement des feuilles par exemple, à chaque instant. Cela devenant insupportable, il décide de se crever les tympans... Mais surprise, il entend dorénavant la musique des sphères de l'espace. Il décide donc de les retranscrire en musique audible par tous et de proposer sa maquette à une maison de disque. C'est le début des emmerdes car il va falloir être rentable. 

Voici un petit tour dans le monde impitoyable de la musique, des changements qu'on impose aux artistes pour pouvoir vendre un album et des compromis qu'on peut faire quand on veut vraiment qu'une oeuvre soit diffusée. Il y a aussi l'étonnement de Barnabé devant tous ces gens incapables de comprendre qu'ils entendent la musique des planètes, des étoiles, bref de remarquer qu'ils sont en train d'écouter quelque chose d'unique et de beau. 

En lisant ce texte, j'ai pensé à la vidéo du violoniste prodige Joshua Bell qui a donné un concert dans une station de métro et devant lequel personne ne s'est même retourné alors que quelques jours auparavant il jouait à guichet fermé devant des spectateurs ayant payé leur place 100 euros .

Et le poussin piou, et le poussin piou...

J'ai pensé au Poussin Piou aussi (bah ouais). Des daubes pareilles sortent tous les jours tandis que des artistes talentueux ne sont même jamais reçus par les maisons de disque.

Et puis, petit clin d'oeil marrant, l'auteur nous parle de la boulimie de téléchargement gratuit, on engrange, on engrange et puis finalement on n'écoute (ne lit ?) jamais tout. Mais c'est gratuit alors on prend. Je ne dis rien, j'ai tendance à être un peu (pas trop quand même) comme ça, je crois qu'on l'est tous. Cela fait réfléchir sur nos modes de consommation. De là à transposer cette histoire dans le monde de l'édition, il faudra demander à m'sieur Davoust. C'est une fin déroutante en tout cas.

Tuning Jack

Ah Jacky Tuning ! Le kéké de base. Il est ici poussé à l'extrême par l'auteur qui imagine une société où l'objet tuné serait le corps. Charming ! 

C'est la nouvelle la plus longue des trois, une trentaine de pages. Elle nous conte donc l'histoire de Jacques (mais c'est pas assez fashion pour lui, donc c'est Jack), un jeune adulte accro, comme beaucoup de ses pairs, au body tuning. Il y met tout son argent, et surtout y sacrifie sa santé. Des semelles Nike fixées par broches dans l'os du pied, il n'a plus besoin de chaussures. Le logo Nike est d'ailleurs tatoué à même la peau. Son meilleur ami s'est fait un burning pour devenir noir. Et ils vont voir leur "dealer" pour se tuner illégalement avec de nouveaux articles venus tout droit des States. En face, des personnes restées naturelles et de qui ils aiment se moquer, les regardent se détruire.

Iceman m'a fait penser à Griff Tannen !

Le texte est agrémenté de publicité pour du body tuning de toute sorte, cela donne l'impression que ces ados sont baignés dedans, poussés à la consommation. Il y a énormément d'humour, par exemple, Jack, à 12 ans, s'est implanté une radio dans l'oreille. Problème, elle est bloquée depuis des années sur France Culture ! Ce qui lui permet d'entendre quelques critiques sur la société dans laquelle il vit, mais absolument pas d'en tirer les conclusions qui s'imposent.

Finaliste du Rosny Aîné de la nouvelle en 2005, le texte est assez clair : critique de la société de consommation, de la connerie humaine, exploration de la recherche d'identité des ados, de leurs relations sociales, du besoin de paraître plus que d'être... Il y a beaucoup, beaucoup de choses qui font réfléchir dans ce récit pourtant pas si long. 

J'ai pensé à la nouvelle de Laurent Queyssi, Sense of Wonder 2.0, dans son recueil Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps. D'ailleurs le tatouage "sponsor", ça commence à se faire en réalité. WTF.

Comique et glaçant.

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J'ai passé un très bon moment de lecture avec ces trois nouvelles, et je pense me procurer rapidement L'importance de ton regard, ainsi que Léviathan !

Pour terminer, Lionel Davoust, dans son introduction à chacune de ses nouvelles gratuites, nous explique sa démarche, pourquoi il propose gracieusement son travail au lecteur. Il conclue par ceci : "Si ce texte-là vous a intéressé, il n'est pas déraisonnable d'espérer que le reste de ma production vous plaise !". J'admire la démarche, surtout que c'est exactement ce pour quoi je lis des nouvelles : découvrir un auteur et pourquoi pas poursuivre plus loin avec ses écrits. Et c'est ce que je vais faire avec Lionel Davoust, qui m'avait déjà convaincue avec Nuit de visitation, ces trois nouvelles sont surtout un petit plaisir que je me suis fait. 

Lecture n°20 dans le cadre
du challenge Je lis des nouvelles et des novellas