mardi 27 octobre 2020

❤ Au bal des absents de Catherine Dufour

"Étrange, quand même, que les hantises touchent des châteaux, jamais des HLM."

Au bal des absents est un roman fantastique de Catherine Dufour publié chez Le Seuil, dans la collection Cadre noir. C'est drôle, horrifique et social.

Claude a quarante ans, et elle les fait. Sa vie est un désert à tous points de vue, amoureux et professionnel ; au RSA, elle va être expulsée de son appartement. Aussi quand un mystérieux juriste américain la contacte sur Linkedin – et sur un malentendu – pour lui demander d’enquêter sur la disparition d’une famille moyennant un bon gros chèque, Claude n’hésite pas longtemps. Tout ce qu’elle a à faire c’est de louer la villa « isolée en pleine campagne au fond d’une région dépeuplée » où les disparus avaient séjourné un an plus tôt. Et d’ouvrir grands les yeux et les oreilles. Pourquoi se priver d’un toit gratuit, même pour quelques semaines ? Mais c’est sans doute un peu vite oublier qu’un homme et cinq enfants s’y sont évaporés du jour au lendemain, et sans doute pas pour rien.

Que voici une lecture excitante et parfaite pour cette période halloweenesque !

BOUH - ÇA FAIT PEUR !

Ils flottent tous en bas 💀
Tout commence quand Claude perd son emploi, puis son studio et se voit obligée, suite à une proposition en ligne, d'accepter d'enquêter sur la disparition non résolue d'une famille américaine dans un trou paumé de France. 

Les premiers chapitres mettent dans l'ambiance : Claude loue Tante Colline, une vieille maison évidemment très isolée,  mais surtout pas chère sur Airbnb et quand elle s'y installe, elle a la peur de sa vie et moi aussi. Imaginez, une villa très ancienne, de nuit, personne pour vous accueillir, vous passez près de la cave, vous faites le tour du propriétaire, des bruits bizarres, des craquements, et vous vous regardez dans un miroir... Et là votre reflet vous sourit, tandis qu'une jambe (oui une jambe) descend lentement l'escalier ! AAAAAH !

Alors voilà une partie de l'ambiance du roman de Catherine Dufour. Une atmosphère à la Ça de Stephen King, avec des illusions trompeuses et maléfiques, mais aussi des revenants à la Hill House et des distorsions étranges du temps, bref !!! J'adore !

L'autrice a bien révisé et digéré ses classiques pour nous proposer une expérience de maison hantée à la fois effrayante et jouissive (si comme moi vous avez quelques petites références en la matière, sinon ça marche aussi je pense !) La narratrice, elle, utilise la médiathèque du coin pour se nourrir de littérature et cinéma horrifique, afin de trouver des solutions pour affronter ce qui se terre dans la maison.

"Le vrai problème, ce n'est pas le fantôme dont l'apparition vous plonge dans une terreur indicible qui fait vaciller votre raison. Le problème, c'est le fantôme armé d'un tranchoir."

HAHAHAHA - ÇA FAIT RIRE !

Qu'est-ce qu'on se marre !
L'humour de Catherine Dufour contrebalance astucieusement toutes les frayeurs qu'elle nous inflige. Quand Claude fait des recherches pour venir à bout du monstre, elle les fait au premier degré et c'est hilarant. C'est à dire que tout est bon : tel livre parle d'eau bénite, elle en trouve, tel film d'ail et de sauge, elle en brûle, celui-ci évoque les complices vivants des créatures (Renfield, le serviteur de Dracula), elle les imagine, et un autre dit que la douleur empêche de se faire hypnotiser, alors elle s'achète une pince à téton papier et se l'accroche à l'oreille pour ses excursions dans la maison.

Elle tente de baragouiner anglais via le net avec son commanditaire, et décide de faire de l'eau homéopathiquement bénite parce qu'elle n'en a pas assez (donc faut diluer) ! 

Les réflexions bien senties de la narratrice rendent cet ouvrage piquant à souhait. Je repense à celle sur les slahers, vous savez les films d'horreur avec un tueur déguisé des années 90, type Scream : quand Claude finit ses visionnages, elle conclut que manifestement, ce sont toujours des jeunes femmes vierges qui s'en sortent à la fin (et que donc elle est mal barrée). Et que dire de Twilight, et de son loup-garou "qui ôtait son tee-shirt sitôt qu'il était contrarié".

La personnalité de Claude, femme dure au mal, terre à terre, et qui n'a franchement plus rien à perdre et en a marre qu'on la fasse suer, donne lieu à des scènes surréalistes que je peux difficilement vous décrire sous peine de divulgâcher. Mais sincèrement je ne sais pas qui a le plus de raisons de s'inquiéter entre les fantômes et elle étant donnée sa détermination.

"Quelle hargne délirante fallait-il avoir pour s’embusquer derrière chaque porte, dans chaque cave, chaque grenier, chaque placard ? Pour s'enfoncer de force dans le corps et l'esprit d'enfants et d'adolescents ? Pour squatter interminablement une poupée, une télé, un rocking chair, une cassette VHS ou toute une batterie de cuisine ? Ça n'a aucun sens."

WAHOU - ÇA FAIT RÉFLÉCHIR !

Au delà du divertissement assumé, Catherine Dufour aborde dans son roman des questions sociales essentielles. Claude, au chômage, abimée par la vie, enchaine les mauvaises expériences, notamment avec Pôle emploi et finit par accepter ce boulot somme toute merdique d'enquête dans le trou du cul de la France (mais c'est joli quand même) parce que de toute façon elle n'a plus les moyens de garder son studio et qu'il faut bien survivre. 

Marie, 71 ans, obligée de vivre dans
sa voiture - Puteaux, France, 2018

Elle en est donc réduite à vivre dans sa bagnole, en hiver, dans les montagnes, c'est froid, c'est mouillé... Alors qu'elle a non pas un mais deux petits boulots, elle ne peut s'accorder qu'un repas par jour (ou plusieurs si elle peut les voler), elle se réchauffe dans la médiathèque la journée puis dans les bars le soir, avant de retourner dormir (et se les geler) dans sa voiture sur un obscur parking de supermarché... C'est aussi ça la Frônce d'aujourd'hui.

Je tiens à souligner l'importance qu'a donnée l'autrice à la médiathèque dans la vie compliquée de Claude. C'est un endroit qu'elle décrit tel qu'il est dans ses missions : un lieu ouvert à tous, où l'on peut se poser au chaud, pour lire, manger et bénéficier de services qu'on n'a pas forcément à la maison (à plus forte raison quand on n'a pas du tout de maison). Dites-vous bien que c'est chez nous que Pôle emploi envoie les gens écrire et imprimer leur CV.

"La médiathèque murmurait autour d'elle, cliquetis des claviers et des souris, gargouillis de la fontaine à eau, ronronnement de la machine à café, fusées réprimées des rires des enfants plongés dans Titeuf, râle épisodique du vieux monsieur qui en voulait personnellement à l'internet, chuchotement de livres qu'on glisse dans les rayons, froissements de journal dans l'espace des périodiques, grondement intermittent de l'imprimante, au fond."

Et puis que serait un livre de Catherine Dufour sans féminisme inside ? Claude est une femme seule qui se bat pour survivre, bien décidée à ne rien lâcher. Pourtant il lui arrive des choses indicibles et pas que du domaine du fantastique. De petites remarques de bon sens émaillent le récit, comme celle sur les slashers, ou les fameuses règles bleues des publicités pour serviettes hygiéniques... Autant de pichenettes à la Patriarquie. Sur ce thème, la fin du roman admirable et jouissive, et j'applaudis l'autrice !

Pour résumer, Au bal des absents de Catherine Dufour est un roman horrifique, piquant et social. Derrière l'histoire de fantômes, se cache celle de Claude. On est en droit de se demander : le plus effrayant, sont-ce les mortelles créatures de l'ombre et de la nuit ou la façon dont est forcée de vivre notre quarantenaire isolée et sans emploi ? Un excellent cru entre rire, frisson et maltraitance sociale que ce Dufour nouveau.

Ils en parlent aussi : Gromovar, Tigger Lilly, Efelle, Elhyandra, Celindanae, Alys

Au bal des absents
de Catherine Dufour
Seuil - Cadre noir - Septembre 2020
216 pages
Papier : 18€ / Numérique : 12,99€

12 commentaires:

  1. Réponses
    1. En tant que médiathécaire, ça a touché mon p'tit cœur !

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  2. Ha mais j'étais passé à côté de cette sortie, j'avais pas pigé que c'était horrifique.
    Je note ça, merci ^^

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    1. La collection n'aide pas à le comprendre, mais je te confirme c'est bien un roman fantastique !

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  3. C'est drôle nos avis sont tombés presque en même temps :) Min aer Dufour et punaise quel plaisir.
    Tu as su écrire un avis bien complet, qui met des mots justes sur ce roman et ce que l'autrice fait passer comme message. Je n'ai pas parlé de féminisme, j'ai aussi oublié de parler de l'importance des bibliothèques, que tu as parfaitement de souligner l'importance.
    Bref, si je ne l'avais lu, j'en aurais eu terriblement envie.

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    1. mon 1er* (le correcteur a encore frappé :/ )
      que tu as parfaitement raison*

      (rholala, faudra que je pense à me relire 100x avant de valider... pardon)

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    2. Tu prends la droooooogue 🤣
      Un super bouquin à n'en pas douter !

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  4. "Étrange, quand même, que les hantises touchent des châteaux, jamais des HLM." : eh oui, pas facile d'être riche, c'est bien plus de problèmes que les pauvres, on n'y pense pas assez.
    Est-ce que je peux avoir une version sans la partie qui fait peur ? Ou une version light, pour enfants ? S'il vous plaît ? Parce que ça a l'air vraiment très bien, sinon.

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    1. Personnellement, je trouve que ce qui fait le plus peur dans ce roman, ce ne sont pas les fantômes, mais bien "la houle insondable de la cruauté humaine", dixit Catherine Dufour elle-même : exactement ce que suggère Lune à la fin de son billet, quoi...

      Et l'auto-dérision de l'héroïne contre-balance les pires moments, donc pour moi c'est lisible en bloc même par quelqu'un qui n'est pas fan d'histoires de fantômes (je pense d'ailleurs qu'il y a chez Catherine Dufour un côté "les histoires de fantômes, avec moi vous allez aimer, parce que je vais vraiment essorer le genre à fond").

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  5. Ok... ajouter à la wishlist... priorité très grande. Done.

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  6. J'ai adoré aussi, vraiment excellent :)

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  7. Il est noté chez moi celui-ci ^^

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