La Ménagerie de papier est un recueil inédit de Ken Liu coédité par Le Bélial et l'association Quarante-Deux. Les nouvelles ont été sélectionnées et traduites ou retravaillées pour l'occasion, et réunies sous une superbe couverture d'Aurélien Police.
« Elle plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la
plie. Intrigué, j’arrête de pleurer pour l’observer. Ma mère retourne
le papier et le plie de nouveau, avant de le border, de le plisser, de
le rouler et de le tordre jusqu’à ce qu’il disparaisse entre ses mains
en coupe. Puis elle porte ce petit paquet à sa bouche et y souffle comme
dans un ballon.
“Kan, dit-elle. Laohu.” Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte.
Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage
arbore le motif du papier, sucres d’orge rouges et sapins de Noël sur
fond blanc.
J’effleure ce qu’a créé Maman. Sa queue bat et il se jette, joueur, sur mon doigt… »
La Ménagerie de papier se compose de 19 nouvelles, dans lesquelles Ken Liu explore le vivant et ses mécanismes, ses failles, ses forces, ses émotions. Il s'attaque à des thèmes à la fois technologiques et humains, et à notre relation à l'Autre.
La construction du recueil est intéressante. Commençant sur Terre, où les humains semblent souvent subir l'influence de l'univers entier, le livre finira par les emmener dans l'espace.
Dans la première nouvelle, Renaissance, des extra-terrestres ont
envahi la Terre, mais semblent vivre en harmonie avec certains êtres
humains. Le souci est que pour ce faire, ils leur siphonnent la mémoire.
La mémoire est un des thèmes favoris de l'auteur. Son importance pour
se construire, s'appuyer sur le passé pour bâtir le futur, pour ne pas
reproduire les mêmes erreurs sans fin. Puis surtout, il nous questionne sur la malléabilité des souvenirs. Un sujet que l'on retrouve par exemple dans le court texte Emily vous répond.
Car le cerveau intéresse énormément l'auteur. Dans Algorithme de l'amour, il interroge la machine humaine. Sommes-nous programmés ? Avons-nous des réflexes pré-établis ? La narratrice de cette nouvelle fait une dépression car elle n'arrive plus à distinguer les réactions des IA qu'elle conçoit de celles du cerveau humain. Continuant sa réflexion sur le cerveau, Ken Liu, dans Le Journal intime, inflige une incapacité troublante à une femme : elle n'est plus capable de lire un seul mot suite à la découverte du journal intime de son mari (qu'elle n'a pas lu mais imagine rempli d'horreurs à son sujet).
Car le cerveau intéresse énormément l'auteur. Dans Algorithme de l'amour, il interroge la machine humaine. Sommes-nous programmés ? Avons-nous des réflexes pré-établis ? La narratrice de cette nouvelle fait une dépression car elle n'arrive plus à distinguer les réactions des IA qu'elle conçoit de celles du cerveau humain. Continuant sa réflexion sur le cerveau, Ken Liu, dans Le Journal intime, inflige une incapacité troublante à une femme : elle n'est plus capable de lire un seul mot suite à la découverte du journal intime de son mari (qu'elle n'a pas lu mais imagine rempli d'horreurs à son sujet).
L'Erreur d'un seul bit est un texte qui interpelle, et tourne lui aussi autour du fonctionnement de notre cerveau. A la lecture, j'ai eu du mal. L'accès n'en est pas simple. Liu s'y pose des questions métaphysiques. Ou juste physiques. D'un côté un jeune homme, rationnel. De l'autre une jeune femme qui pense avoir eu une révélation, mais à part cela qui semble rationnelle, elle aussi. En bon américain, le jeune homme se désespère : aura-t-il lui aussi un jour la visite d'un ange ? La science est un frein à son désir de croire. Je n'ai pas encore compris pourquoi Le Bélial a choisi cette nouvelle comme fichier numérique gratuit afin d'attirer le chaland vers le recueil. Autant vous dire que le chaland, même lecteur de SF chevronné, peut être facilement rebuté par ce texte. Et qu'il m'a fallu pas mal de recul (je l'ai lu il y a plus d'une semaine) pour faire le point dessus.
J'ai eu un coup de cœur sur un
texte en particulier : La Ménagerie de papier, et je ne suis apparemment pas la seule puisqu'elle a reçu les Prix Hugo, Nebula et le World Fantasy Award ! C'est certainement l'une
des nouvelles les plus émouvantes que j'aie lu. De ma vie. Ken Liu
y parle de la difficulté des rapports parents/enfants, de s'intégrer,
de communiquer, d'aimer, de toutes ces barrières qui nous séparent d'un Autre pourtant si proche. Que l'on s'identifie au parent ou à l'enfant,
on ne peut qu'être soufflé par la charge émotionnelle de cette courte
histoire, remplie de magie et de délicatesse. Pleine de
fragilité. Assurément un chef d’œuvre.
L'Oracle a pour thème la prédétermination de nos vies. Notre destin est-il déjà tracé ? Avons-nous réellement un libre-arbitre ? L'Oracle offre à chacun la possibilité de voir un moment capital de sa vie. Pour certains, cela va être un événement heureux, mais d'autres découvrent qu'ils sont de futurs meurtriers. La loi veut qu'on les retire de la société par prévention. Ils sont regroupés dans des foyers spéciaux, pour certains dès le plus jeune âge. Dès lors, ils attendent l'arrivée de l'inéluctable... Aurait-on pu éviter sa réalisation ? La vision entraine-t-elle des faits qui n'auraient sinon jamais eu lieu ? A rapprocher de Minority report de Dick.
Faits pour être ensemble est un texte plus contemporain. Liu y dénonce les excès des multinationales connectées, typeGoogle ou Facebook euh ici c'est Centillion. Comment elles font pour entrer dans votre vie et obtenir des informations afin de vous vendre un maximum de produits et services. La neutralité du net est en jeu dans ce sympathique texte à tendance cyberpunk qui m'a fait penser au roman Le Vivant d'Anna Starobinets, qui pourrait en être un futur possible.
Faits pour être ensemble est un texte plus contemporain. Liu y dénonce les excès des multinationales connectées, type
L'auteur nous emmène aussi dans l'espace, à la rencontre de l'Autre et de nous-mêmes.
Texte fort (et Prix Hugo), Mono no aware, principe japonais qu'on peut traduire de façon très poétique par "la sensibilité de l'éphémère" raconte la fin du monde depuis un vaisseau dans l'espace : lorsque le narrateur était enfant, un astéroïde se dirigeait vers la Terre, qui provoquerait la fin de toute vie. Les gouvernements construisirent des vaisseaux pour quitter la planète, mais il n'y eut pas assez de place pour tous. Chez les japonais, pas de panique. Leur éducation, leur culture leur ont appris à rester calmes. Le père du narrateur va lui expliquer pourquoi personne ne panique, et pourquoi cela ne servirait à rien. Le jeune garçon s'est ainsi imprégné de sa culture et de sa planète mourante. Encore une fois, une histoire de mémoire, de transmission, d'amour filial qui touche au cœur.
L'altérité, il la traite dans Renaissance dont j'ai parlé plus haut, mais aussi dans Le Livre chez diverses espèces dans lequel il imagine les formes que pourraient prendre le livre chez divers peuples extraterrestres, La Forme de la pensée, et l'intéressant Peuple de Pélé qui m'a rappelé Tau Zéro sur le principe, mais en moins vertigineux.
Trajectoire est aussi un beau texte, autour de l'acceptation du vieillissement, de toutes les vies que l'on peut vivre en une et de l'intérêt relatif de vivre des siècles. Je l'avais lu et apprécié dans Fiction n°18. Il n'aborde cependant pas la problématique de la surpopulation due à cette immortalité, contrairement à Paolo Bacigalupi dans son recueil La Fille Flûte. Chose qu'il fera par contre dans le vaisseau des Vagues, qui conclue le recueil avec une post-humanité virtuelle qui personnellement me donne la chair de poule (et pourrait en attirer certains, au contraire) ! Encore une fois, la vie éternelle, à quel prix ?
Quelques nouvelles m'ont paru avoir moins d'envergure. Je pense à Avant et après, une préquelle à Renaissance, Nova verba, mundus novus avec sa perte du langage et sa réinvention, et peut-être à la clé une redécouverte du monde, à Golem au GMS qui a eu le bénéfice de m'en apprendre plus sur les juifs chinois et est l'occasion pour l'auteur d'une réflexion humoristique sur Dieu. La plaideuse m'a moyennement plu, c'est une enquête trop classique, proche du conte, mais qui offre une belle réflexion sur la place de la femme qui pratique un métier dit d'homme.
Le recueil s'accompagne d'un avant-propos de l'auteur, et d'une bibliographie complète.
Pour résumer, La Ménagerie de papier de Ken Liu est un recueil inédit en français coédité par Le Bélial et l'association Quarante-Deux pour le bonheur des amateurs de SF. Questionnement du libre-arbitre, altérité, fonctionnement du cerveau, voyage dans l'espace, aspiration à la vie éternelle, l'essence de la SF se retrouve dans ces dix-neuf nouvelles. Et surtout la nouvelle éponyme est un chef d’œuvre, je crois que c'est la première fois que je pleurais grâce à un texte aussi court. Pour ceux qui auraient été rebutés par L'Erreur d'un seul bit, ne vous arrêtez pas là, creusez encore, pour l'amour de la SF contemporaine, car Ken Liu en est un auteur majeur !
Une interview de Ken Liu sur ActuSF
Les avis de Gromovar, Dup, Blackwolf, ...
La Ménagerie de papier
de Ken Liu
Le Bélial et Quarante-Deux - avril 2015
448 pages
Traduit de l'américain par Pierre-Paul Durastanti
Illustration de couverture par Aurélien Police
Papier : 23€ / Numérique : 11,99€
Pas mieux. Un excellent recueil, qui mériterait de faire des petits. La nouvelle "la ménagerie de papier" est en effet un chef d'oeuvre, tout simplement.
RépondreSupprimerJ'espère qu'on n'a pas fini d'entendre parler de Ken Liu en France... ;)
Décidément, va falloir que je me procure cet ouvrage moi !
RépondreSupprimerSuperbe recueil ce "La ménagerie de papie" avec d'excellents textes de Ken Liu.
RépondreSupprimerJe ne lirai peut-être pas toutes les nouvelles mais le journal intime et l'Oracle attirent mon attention.
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