"Ils redevinrent silencieux, ils se rappelèrent les difficultés de ces dix dernières années. Un par un, ils évoquèrent leurs raisons d'exister. Puis, de survivants, ils redevinrent artistes."
Avec L’Équateur d'Einstein, Actes Sud et Gwennaël Gaffric nous donnent le plaisir de lire la première partie (sur deux) de l'intégrale des nouvelles de Liu Cixin. Qu'ils en soient remerciés.
Ce recueil est paru en janvier 2022. Il réunit 17 nouvelles/novellas de l'auteur.
Les fans de Liu Cixin, dont je suis, si toutefois c'était pas clair clair, connaissent déjà quelques-uns de ces textes. Par exemple la novella Terre errante, ou encore la nouvelle Avec ses yeux qui a reçu le Prix des lecteurs Bifrost en 2017.
👉 C'est avec bonheur que j'ai retrouvé la plume de l'auteur. Un homme qui vient avec son histoire personnelle, un contexte politique, et ses défauts, mais aussi son immense talent, son amour de la science et sa démesure sans pareille. Si vous avez aimé la trilogie du Problème à trois corps, vous pouvez vous lancer dans la lecture de ce recueil, et si vous découvrez l'auteur, c'est aussi une belle porte d'entrée !
Je vais évacuer tout de suite les bémols :
- Sur le livre lui-même : pour moi, il manque, si ce n'est une remise en contexte qui n'est pas toujours aisée au regard de l'aspect forcément politique quand on parle du plus grand auteur de SF chinois, au moins un petit blabla pour connaître la date d'écriture et de parution de chaque texte, au début ou à la fin du texte en question. (oui, l'intégrale de Dick me donne de mauvaises habitudes, j'ai envie de tout savoir, I want some paratexte !)
- Sur l'auteur : il m'énerve toujours autant à ne parler que d'hommes, des hommes des hommes partout des hooooommes et très peu de femmes. De temps en temps, il offre un bon personnage féminin, notamment dans Avec ses yeux par exemple, mais ça reste trop rare, et généralement les femmes sont des détails voire des obstacles et apparaissent dans le cadre du couple, de la parentalité etc.
Au cœur de l’écriture de Liu Cixin, la science et les grandes questions sur l'univers. Il va vous retourner le cerveau : contrôle des animaux, miniaturisation de l'humain, extraterrestres surévolués, univers parallèles, voyage dans le temps et évolution des espèces, haute technologie sur Terre ou dans l'espace... Dans le genre, L’Équateur d'Einstein conclut parfaitement ce premier tome de l'intégrale !
"Les armes des macro-humains étaient inutiles contre des ennemis invisibles. La seule arme à leur disposition était le désinfectant..."
Il nous parle aussi de l'éducation et de l'ascension sociale en Chine. Il aborde la pauvreté extrême des villages au fin fond du pays, au point d'en être parfois dérangeant tant l'on sent que la vie rurale est présentée par ses personnages comme inférieure à l'urbanité. Logique si l'on considère qu'il se fait l'apôtre de la haute technologie, qu'on trouve surtout... en ville. Cela dit, le "récit" de ces hommes s'arrachant par leur travail à leur condition est je suppose quelque chose de très parlant, comme dans Le Soleil de Chine (pas mal mindblowing dans le genre d'ailleurs, sachant que la Chine a bel et bien un second soleil, et rappelant que de sots métiers, il n'existe pas) ou encore dans Le Feu de la Terre (encore une fois inspiré de la réalité).
Liu Cixin a, donc, bien sûr, obviously, un positionnement politique dans ses textes. Je pense, entre autres, au Battement d'ailes d'un papillon : il imagine un yougoslave qui va tenter de contrôler la météo, en influant minimement sur un point précis de la planète pour agir sur la météo de son pays, le tout s'appuyant sur des équations et pour empêcher des frappes américaines sur les populations civiles. (Je regrette ici l'artificialité des dialogues soit dit en passant). Dans L’Ère des anges, il attaque encore une fois clairement la suprématie et la façon de penser des américains, opposant religion (USA donc) et sciences (ici l'Afrique et son pays fictif, la Sambie). Intéressant, ce point de vue non blanc et non occidental sur les américains et leur conception du monde.
"Au cours des vingt premières années de notre siècle, les progrès fulgurants de l'ingénierie génétique se sont accompagnés d'un renforcement constant du sentiment religieux dans toutes les sociétés du monde. En apparence, ce phénomène semblait découler d'un souci de respect et de défense de la bioéthique. En réalité, ce n'était que l'expression du besoin de réconfort spirituel de l'humanité face à une société technologique qui lui donnait le vertige."
Et puis, malgré cette politique et toute la physique quantique de l'univers (enfin des multivers enfin m'voyez) l'auteur n'oublie pas l'art pour autant. Que ce soit la musique dans Le Messager, le conte dans Le Chant de la baleine, ou la sculpture sur glace (oui oui) dans La Mer des rêves (incroyable ce texte, WTF), il souligne que sans l'art, on survit, et la vie est bien fade.
Parfois il est même drôle comme dans Fibres et Le Destin.
👉 Attention, dans ce recueil, les océans seront vidés, l'univers retourné, la marche du temps inversée, la Terre sortie de son orbite, les humains manipulés, les hommes obsédés de sens et de science, les dinosaures... Bon je vous laisse la surprise pour les dinosaures. A la fois porte d'entrée dans l’œuvre de l'auteur et régal pour les fans, L’Équateur d'Einstein de Liu Cixin est disponible chez Actes Sud dans la collection Exofictions.
L’Équateur d'Einstein
de Liu Cixin
Actes Sud - Janvier 2022
592 pages
Traduit du chinois par Gwennaël Gaffric, Morgan Vicente, Nicolas Giovanetti, Hugo Natowicz et Julia Merada
Papier : 24,80€ / Numérique : 18,99€
"Bon je vous laisse la surprise pour les dinosaures" : ah, des dinosaures, mais il fallait commencer par ça ! Ils sont un peu licornes sur les bords, c'est ça la surprise ? 🦄
RépondreSupprimerAutant "Terre errante" ne m'a jamais vraiment tenté, autant là bien plus. Je vais peut-être enfin me mettre à Liu Cixin.
Franchement ça se tente
Supprimer(oui, l'intégrale de Dick me donne de mauvaises habitudes, j'ai envie de tout savoir, I want some paratexte !)
RépondreSupprimerD'excellentes habitudes à mon sens ! Pour moi, il faut (absolument) contextualiser un minimum les textes d'un recueil: c'est une faute éditoriale de ne pas fournir un minimum d'information sur chaque texte. C'est aussi un plaisir personnel: je prenais beaucoup de plaisir à lire les préface de Robert Silverberg à ses nouvelles, par exemple ! Je crois que Stephen King est très bon là-dedans également.