dimanche 18 octobre 2020

⭐ Vers les étoiles de Mary Robinette Kowal

"La Lune. Un jour. Un jour, j'irai là-haut. Un jour, je marcherai sur la Lune."

Vers les étoiles est le premier tome d'une série uchronique de Mary Robinette Kowal, récompensé par rien de moins que les Prix Hugo, Locus, Nebula et Sidewise ! C'est Denoël qui publie ce petit bijou dans sa collection Lunes d'encre. 

1952. La côte est des Etats-Unis est dévastée suite à l'écrasement d'une météorite au large de Washington. Les dérèglements provoqués par la catastrophe menacent l'humanité. La seule issue est l'espace mais il est inaccessible aux femmes. Pourtant, Elma York, génie des mathématiques et ancienne pilote, compte bien prendre part au programme mis en place et devenir la première astronaute.

J'avais repéré The Calculating stars (titre original de l’œuvre) depuis l'année dernière, et j'ai été très heureuse d'enfin l'avoir en main en cette fin d'année. Voici une lecture intelligente que je n'ai pu lâcher jusqu'à la fin - qui n'en est pas une, puisque nous avons affaire à une série comme je le précisais plus haut. C'est d'ailleurs assez frustrant, je me sens comme entre Black-out et All clear de Connie Willis (ceux qui savent, savent).

SE TOURNER VERS LES ÉTOILES

"L'idée de ne pas aller dans l'espace ne m'a jamais traversé l'esprit."

Le roman commence très fort : 1952, un météore s'écrase dans l'Atlantique, au large des États-Unis, ravageant la côte Est. On est tout de suite pris dans la fuite d'Elma York et son mari Nathaniel pour échapper à l'onde de choc inévitable...

Elma, mathématicienne de génie, calculatrice au NACA (Comité consultatif national pour l'aéronautique - le traducteur, Patrick Imbert, a gardé l'acronyme original pour des raisons évidentes) et pilote chez les WASP (Women Airforce Service Pilots) durant la guerre, va comprendre la première l'implication de l'impact de cet immense météore, qui va perturber durablement le climat et rendre la planète invivable à terme. 

L'intrigue se déroule donc dans un contexte post-catastrophe, lui-même alourdi par le fait que la Seconde Guerre Mondiale ne s'est terminée que 7 ans avant l'arrivée du météore, laissant l'humanité  traumatisée. Elle est maintenant dans l'obligation de faire face à un défi inédit : trouver un moyen de quitter la Terre. 

HISTOIRE DE LA CONQUÊTE SPATIALE ET UCHRONIE

"Où étiez-vous quand le météore est tombé ?"

Mary Robinette Kowal a utilisé l'uchronie pour lancer la conquête spatiale plusieurs années plus tôt qu'en réalité. D'abord en donnant un nouveau président à l'Amérique (Dewey au lieu de Truman), puis en bouleversant le climat avec son météore et enfin en créant le NACA. 

L'autrice a pourtant souhaité que son roman soit rigoureux quant aux faits et à la science (malgré les libertés uchroniques qu'elle a prises), elle a donc fait appel à des scientifiques, astronautes, pilotes, et a intégré des anecdotes réelles à son intrigue, comme le problème de Stetson Parker, ou les expériences de pilotage comme la vrille d'Elma. Cet aspect du livre est une vraie force dont elle parle dans sa note historique en postface.

Comme je l'ai appris avec le film Les figures de l'ombre (Hidden figures) de Theodore Melfy il y a quelques années (tiré du roman éponyme de Margot Shetterly), les calculatrices de la NASA étaient des femmes, pour beaucoup racisées, avec des compétences d'ingénieurs mais étant femmes, elles sont restées "calculatrices". Vous noterez le jeu de mots sur "figures" en VO, qui peut signifier "figures" ou "chiffres", j'aime beaucoup, mais passons ! 

Déjà, on ne voit plus les étoiles, et c'est pourtant vers elles que l'humanité va devoir se tourner. Il va falloir convaincre les politiques, les militaires, la population... et briser les carcans de la société. En cela, Elma sera épaulée par ses amies pilotes de tous horizons, et son mari, ingénieur en chef au NACA et féministe avant l'heure.

"Vous n'avez jamais rencontré ce type, là, Bradbury ?
- Non monsieur.
- Eh bien, je pense que c'est un fan. Son histoire d'ancienne civilisation martienne est un tissu d'âneries, mais tout ce qui aiguise l'appétit des gens pour l'exploration spatiale est bon à prendre."

LADY ASTRONAUTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Comme je l'ai souligné auparavant, la catastrophe survient peu de temps après l'Holocauste et toutes les autres morts causées par la Seconde Guerre Mondiale. L'humanité se relève à peine et le météore fait de nouveau des millions de morts, mais aussi de disparus et apporte des retombées difficiles à gérer : plus de gouvernement, des conditions météorologiques qui se dégradent et empêchent les cultures de pousser et donc affament tous les pays...

Elma, femme dans les années 50, va devoir affronter ces difficultés, mais aussi celles qui se dressent sur le chemin d'une femme à la fois scientifique, juive, pilote et sujette à une grave anxiété mais qui ne peut se permettre de montrer une quelconque faiblesse... Bref this is a men's world (de préférence blanc, hétéro et chrétien) ! 

On appréciera les articles de journaux au début de chaque chapitre, que l'autrice affirme avoir à peine retouchés. Kowal nous montre le conservatisme des médias, le traitement des femmes par la presse, que les journalistes ne qualifient pas d'astronautes mais d'astronettes, ou encore de beautés de l'espace etc. J'ai d'ailleurs vivement réagi à certains passages, poussant à plusieurs reprises des "quoi !" ou des "ouuuuuuh" estomaqués. C'était tellement réaliste, ça sentait le vécu. 

"Trente-quatre femmes ont été choisies pour suivre un programme de tests préliminaires pour devenir astronautes. Toutes sont des pilotes d'avion chevronnées, et leur âge s'échelonne de 23 à 38 ans. Blondes ou brunes, toutes ces beautés comptent parmi les meilleures spécimens féminins de la planète." (ça commençait bien pourtant, hein).

Le rôle des médias reste cependant prépondérant dans le combat de la narratrice : son image et son surnom de Lady Astronaute vont énormément jouer en la faveur de l'intégration des femmes au programme spatial. 

Elma va se battre pour faire bouger les lignes mais elle va également comprendre qu'elle-même a des privilèges : fille de général, mariée à un scientifique reconnu et féministe, et... blanche ! Peu à peu, elle va ouvrir les yeux sur ce racisme qu'elle avait complètement intégré. Ici Kowal nous montre le travail qu'il reste encore au féminisme intersectionnel.

Pour la petite histoire, la première femme dans l'espace fut la russe Valentina Vladimirovna Terechkova en 1963. La première astronaute américaine s'appelait Sally Ride et est allée dans l'espace en... 1983, alors qu'en 1959 des femmes avaient passé des tests à la NASA, qui révélaient "qu'elles remplissent tout à fait les conditions physiques et physiologiques pour suivre les mêmes entraînements que leurs collègues masculins". La première astronaute afro-américaine a décoller pour les étoiles est nommée Mae Jamison et a effectué son vol en 1992. Claudine André-Deshays, la première astronaute française, n'a été dans l'espace qu'en 1996. D'ailleurs en 2008, sur 100 candidats astronautes, il n'y avait que 10 femmes à se présenter, preuve que dans l'esprit collectif, ce métier reste encore un territoire masculin.

Je vous rappelle que la première sortie 100% féminine dans l'espace n'a eu lieu que l'année dernière et encore ça n'a pas été simple, pour une sombre histoire de taille de l'équipement. Vous pouvez lire cet article de France Culture sur l'histoire des femmes dans l'espace.

UN ROMAN RICHE ET ADDICTIF

Au final, Vers les étoiles de Mary Robinette Kowal est extrêmement riche, d'une intrigue prenante, de personnages féminins intelligents, d'un contexte uchronique travaillé. Cette longue chronique est loin de faire le tour des sujets abordés par l'autrice. Un vrai plaisir de lecture, presque une addiction pour moi sur la fin, je trimballais le livre partout. 

Seule frustration : c'est une série, donc j'attends la traduction de la suite... Attente que j'adoucirai en lisant le recueil Lady Astronaute sorti chez Folio SF le 1er octobre !

L'avis de Tigger Lilly, Cédric  JeanneretFeydrautha, YogoAlbédo

Vers les étoiles
de Mary Robinette Kowal
Denoël - Lunes d'encre - Octobre 2020
560 pages
Traduit par Patrick Imbert
Illustration de couverture de Matthias Haddad
Papier : 24€ / Numérique : 16,99€
Titre original : The Calculating stars - 2019

18 commentaires:

  1. Je partage totalement ton enthousiasme sur ce superbe roman. IL a tout, une belle intrigue, du fond et des personnages chouettes.Une réusiste que vient couronnée quelques prix entièrement mérités.

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  2. J'ai adoré aussi :)
    Belle découverte que ce roman, il mérite d'être découvert !

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  3. coucou
    dommage que je n'aie pas le twi-twi :
    Valentina Vladimirovna Terechkova
    mais effectivement ton enthousiasme est communicatif !
    bon dimanche

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  4. Je note, je note, et je m'en vais voir sur Twitter, je le lirais peut-être plus vite comme ça xD

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  5. Je plussoie. Un excellent roman dépaysant et intelligent. Vite la suite.

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    1. Désolée je te publie un peu tard, t'es allé direct dans mes spams encore !! Et vite la suite ouiii

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  6. Ah, mais oui, le dyptique, voilà un bon argument pour patienter avant de le lire.
    (merci de me laisser croire que je n'ai pas hyper envie de le lire tout de suite)

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  7. J'avais déjà noté son recueil de nouvelles, voilà que j'ai deux (et bientôt trois si celui-ci n'est qu'une première partie) titres de cette auteure sur ma liste.

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  8. Un bon candidat pour le prix Planète SF 2021 ce roman ! J’ai adoré également. Très belle chronique je suis complètement d’accord avec toi 🙂

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  9. Oh je ne savais pas que les articles de journaux au début de chaque chapitre étaient authentiques ! Belle chronique et je suis d'accord avec toi, très beau roman. Les suites sont également excellentes !

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